vendredi 23 décembre 2016

Vendredi 23 décembre - Encore des complications…

On se réveille à N’Djamena, un peu perdus. Je suis complètement malade, enrhumé, la gorge fortement irritée et le corps complètement déshydraté. La poussière des derniers jours et le soleil ardent font leur effet. Je réalise que je n’ai bu que quelques gorgées d’eau et deux sodas pendant la journée d’hier. 

En avant-midi, Taigue et Roger (qui sont arrivés vers 2h30 du matin) viennent nous rencontrer à la maison pour faire le point. 

La situation n’est pas jojo.
Hier, alors que Geneviève, Étienne et moi montions dans l’autocar, les gendarmes sont arrivés pour le constat, mitraillettes en main comme il se doit. Ils ont refusé de mettre la faute sur les ânes, prétextant que selon l’angle de la voiture c’est nous qui avions volontairement frappé les bêtes… Je répète : selon l’angle de la voiture, nous avons VOLONTAIREMENT frappé les ânes !!! Voyons donc !! S’exprimant avec les villageois en patois que ni Roger ni Taigue ne comprennent (plus de 280 dialectes au Tchad), ils ont clairement choisis leur camp. Ils ont refusé de faire un constat pour nos assurances. Le propriétaire des ânes est arrivé, réclamant un dédommagement pour ses bêtes. Taigue et Roger ont été entourés des villageois. Taigue a refusé catégoriquement de payer.

Ça aurait pu chauffer… 

Heureusement, un chef du village qui était venu directement après l’accident a pris parole et il a calmé le jeu. Un colonel de police qui passait en voiture n’a pas voulu intervenir directement dans l’affaire, mais a tout de même proposé à Taigue et Roger de les escorter jusqu’à Bongor pour aller faire réparer la voiture avant la tombée du jour. Ils ont ainsi évité les violences qui surgissent souvent dans ce genre de situation. 

Donc : pas de constat, pas d’assurances… À Bongor un mécanicien a grossièrement arrangé la voiture afin que les gars puissent rouler doucement jusqu’à N’Djamena (en mettant de l’eau dans le radiateur en cours de route). 

On est tous un peu dégoûtés ce matin. C’est complètement injuste. 

Par chance nous ne sommes pas restés sur place, parce que ça aurait été encore pire. Lorsqu’il y a des Blancs, on demande beaucoup plus d’argent — et de façon beaucoup plus insistante. Lorsqu’un parti a des mitraillettes de son côté, disons qu’on sait qui a le dernier mot. 

Heureusement on n'a pas payé les ânes — notons que j’étais prêt à défendre Geneviève corps et âme s’ils nous la demandaient en échange !!!… en même temps il parait que ça se mange. Ça aurait fait un bon champvallon pour le temps des Fêtes…! 

Blague à part, pour l’instant la voiture est au garage et nous attendons le devis. Nous verrons ensuite comment on peut s’arranger pour payer tout ça. Nous avons prévu de l’argent pour les « imprévus », mais le montant est tout de même limité… À voir.

Dans la sphère « CNARR », Cyril et Taigue sont allé au Ministère de l’Intérieur ce matin. On leur a donné rendez-vous lundi. Tout est donc en suspens. 

… ça va faire une drôle de veille de Noël… Mais bon, que peut-on y faire ? On va prendre le temps d’arriver, on va se reposer un peu après toutes ces émotions, on va remplir le frigo et on va profiter des Fêtes comme tout le monde pour décompresser un peu. 

Comme me disait Marc-André tout à l’heure : ça a l’avantage de faire de sacrées bonnes histoires à raconter autour de la table !

Réconfort : en fin d'après-midi nous sommes allés au "Modern Market", où on trouve les produits européens. Le sentiment de culpabilité passé, on s'est lancés en fous dans le tas...! Fromages, chocolats, yaourt, saucissons... On était comme trois enfants sous un sapin de Noël (en plastique). C'est Noël pour nous aussi, après tout !!! (et ce même s'il fait 35 Celsius !)

En soirée, on s'est préparé un bon poulet basquaise et on a mangé du chocolat pour dessert.
Geneviève a fait un jeu de cartes et on a joué au "8" jusqu'en fin de soirée. On commence doucement à croire que c'est la veille de Noël demain...!

D'ailleurs pour ce réveillons nous allons, avec les amis, acheter un mouton entier et le préparer ! MMbêêêh !

Le jeu de cartes "fait maison", aux couleurs tchadiennes, construit par Geneviève...!


Jeudi 22 décembre - Acharnement du sort…

Décidément.

On a quitté Goré ce matin à 4h45 afin d’éviter les « problèmes ». En effet, avec ce qui s’est passé au CNARR, les contrôles de polices (très fréquents sur la route — pratiquement à chaque entrée de village) pourraient avoir été mis au courant de la situation et pourraient nous demander de leur donner nos images, nos caméras, etc. Surtout sur la route entre Goré et Moundou. (env. 250 km). 

Photos de crevaison et de route (crédit Étienne Boivin)
Note : les points de repère sur la route, pour les fans de Google maps : Goré-Moundou-Kelo-Bongor-Gelendeng-N’Djamena. Les traits d’union, ce sont des trous ;o) 

La route entre Goré et Moundou est vraiment très difficile (surtout les 110 premiers km, où on est sensiblement sur un chemin de terre/sable plein de trous.). On parle de 2h30 pour faire 110 km. Au moins cette fois on roule de jour puisqu’à partir de 6h le soleil se lève. 

7h00, sur la route entre Goré et Moundou : crevaison (bien entendu). On a vidé le coffre et on a changé le pneu. On a également regonflé tous les pneus au village suivant. 

11h, Moundou : on s’arrête manger des grillades de chèvre avec de la sauce piment / bile. (Eurk. C'est rare, mais la bile... je ne suis pas fan.)







15h, à environ 20 km de Bongor : accident. On cuit doucement à la chaleur du soleil, nos yeux pleurent de la poussière et nos poumons sont en train de se transformer en papier sablé. Sur la route bitumée pleine d’énormes trous et crevasses (on s’y habitue après un moment), on continue de s’étonner devant la beauté de la nature et des villages que nous croisons. Soudainement, quatre ânes surgissent des herbes hautes devant nous. Nous allons à environ 80 km/h. Roger freine et tente d’éviter les animaux — en vain. Nous percutons les deux adultes de plein fouet. Choc. Silence.

Heureusement tous les cinq dans la voiture sont sains et saufs. 

« Merde ! » 

La voiture après les ânes...
Taigue sort de la voiture, suivi de Roger — toujours sous le choc. Nous sortons tous. Deux ânes gisent au sol. Les bêtes, haletantes, sont pleines de coupures. Une a deux pattes cassées (dont un os qui sort de la patte) et l’autre semble agoniser. Les villageois commencent à s’attrouper. La voiture est complètement emboutie et défoncée à l’avant — ça coule sous le radiateur. 

Les autres conducteurs s’arrêtent, viennent nous saluer, s’assurer que tout est OK. Mots d’encouragement et de soutien. On appelle les autorités. 

L'autocar (voir la déco...)
Heureusement, l’autocar qui conduit le reste de l’équipe passe environ 45 minutes plus tard. Taigue nous dit de partir, et qu’il vaut mieux que lui et Roger gèrent la crise sans les trois Blancs autour. On embarque dans ce véhicule complètement surréel. L’intérieur est coloré, des tissus festifs pendent de partout, les lumières sont multicolores, on dirait un autobus de vacanciers — mais c’est la norme pour ces autocars, qui font le voyage tous les jours. Le conducteur nous offre gracieusement de prendre place (il restait trois places, comme par hasard). 

On se rend à Bongor, 20 km plus loin. Halte pour manger. On n'a pas faim. On repart. Le soleil tombe. À 18h l’autocar s’arrête pour la prière. À 20h nous arrivons à N’Djamena. Un membre de la famille de Renaud nous ramène à la maison, avec notre pile de bagages, d’instruments, de masques, de costumes, etc.

Taigue nous appelle vers 21h pour dire qu’ils ont pu apporter la voiture à Bongor, qu’ils sont au garage et qu’ils vont rentrer à N’Djamena dans la nuit.

Ouf.

Tout ceci étant, on a été très chanceux : aucun blessé, pas de séquelles. Roger a très bien réagi et n’a pas fait de mouvements brusques avec la voiture. On se couche et on espère que les choses se règleront demain. 


Bonne nuit !

Comic relief : Bongor et Memramcook -- même combat !


Mercredi 21 décembre 2016 - Tout bascule

Ce matin, à l’horaire : l’équipe de cinéastes rencontre les représentants du CNARR (Commission Nationale d'Appui à la Réinsertion des Réfugiés). L’idée est d’en apprendre plus sur l’historique des camps et la façon dont on gère les habitants, leurs besoins, leur bien-être, etc. Nous nous rejoignons ensuite à 9h pour partir dans les camps et poursuivre le travail de formation.

La réalité : à 9h, lorsque Geneviève et moi arrivons au point de rendez-vous pour le départ, on se fait dire qu’on ne va pas dans le camp ce matin… en fait, les autorités du CNARR, qui ont été très sympathiques avec nous dès le premier jour en nous encourageant dans nos activités, ont soudainement changé de ton. Selon eux, nous n’avons pas les autorisations nécessaires pour donner des ateliers et filmer dans les camps (ce qui est complètement faux). Malgré les papiers que nous avons, ils nous empêchent soudainement de retourner auprès des réfugiés et ils nous demandent de leur livrer toutes les images tournées depuis notre arrivée…


choc.

Nous sommes donc confinés au compound toute la journée, en attente. Nous n’avons pas encore donné les images, et Taigue est en discussion avec les responsables, qui sont censés communiquer avec N’Djamena. L’administration ici étant très complexe et prenant beaucoup de temps (c’est une ancienne colonie française, après tout…), nous n’avons pas encore de nouvelles et nous sommes en fin de journée. Demain, au lieu de donner notre dernière journée d’ateliers avant notre retour en janvier, nous allons prendre la route pour N’Djamena vers 4h du matin. Nous voulons quitter la ville le plus rapidement possible afin qu’on ne vienne pas nous réclamer nos caméras et notre matériel. Nous souhaitons fort que tout pourra se régler dans la capitale…

Ça fait réfléchir. C’est désolant, c’est triste.

Nous apprenons que depuis lundi, le CNARR a envoyé quelqu’un nous observer. Il se trouve que cette personne est un représentant du Ministère de l’Intérieur (lire "sécurité et propagande"). C’est lui qui a tout bloqué. Il se méfie. Cette bande d’artistes va-t-elle montrer des choses qu’il ne faut pas montrer ? Va-t-elle soulever des questions qu’il ne faut pas soulever ?

Il faut dire qu’on est une équipe de 15 personnes sur place. En plus des ateliers qui se donnent, il y a deux caméras qui filment les activités et le camp. Par-dessus cela, il y a six danseurs, une dramaturge et un photographe/traducteur qui font un projet de création autour de la réalité des réfugiés, qui rencontrent les villageois, qui leurs posent des questions sur leur vie, qui réfléchissent sur leur situation. Ça fait beaucoup d’observateurs en même temps. En plus, on est dans une société qui se méfie fort des caméras. Depuis l’Arche de Zoé, on a peur d’être utilisés à des fins commerciales ou politiques.

Par contre, dès notre arrivée la semaine dernière on a passé une journée entière à rencontrer toutes les autorités compétentes du HCR, du CNARR, de la Préfecture, de la Mairie, de la présidence du camp elle-même… Partout nous avons expliqué le projet, partout on nous a reçus à bras ouverts, on a compris le projet, on a vu les autorisations, et on nous a félicités tout en nous encourageant dans nos initiatives. Pourquoi ce revirement soudain de situation ? 

Le chef du CNARR a quitté hier pour ses vacances et ce matin son équipe nous bloque la route. Qui a pris cette décision ? Qu’ont-ils à cacher ? On fait chanter et danser des réfugiés, merde !

Il est dangereux de museler des artistes… ils vont toujours trouver une façon de creuser.

Je suis triste. Triste qu’on mette fin à des activités de sensibilisation, de paix et d’espoir pour des raisons politiques et, honnêtement, très louches. Depuis lundi, nous martelons aux participants à nos ateliers qu’ils doivent se présenter à l’heure afin d'en profiter au maximum, et qu’on va les accompagner jusqu’à jeudi puis du 4 au 17 janvier afin de créer quelque chose d’unique. Ce matin nous n’étions pas là. Demain nous n’y serons pas non plus. On ne sait pas si les autorités vont nous laisser revenir en janvier. Comment créer un climat de confiance dans ces conditions ?… Il y avait pourtant un magnifique momentum. 

Taigue craint qu’il y ait de la grogne et peut-être de la casse dans le camp. Si les habitants de Gondjé apprennent que le CNARR leur a enlevé ces ateliers, ils pourraient se révolter, manifester collectivement, et ça peut vite se dégrader — ce qui ne ferait que donner des munitions au CNARR pour dire que notre présence est nuisible. 

Je suis dégoûté. C’est d’une absurdité monstre et d’une injustice odieuse.

On plie bagage, on quitte demain matin, et on espère pour le mieux.

SEMAINES 4 et 5 - Goré : gérer l'imprévu !

12 au 20 décembre 2016

On s'en va... là !


Dans la vie il y a le plan... puis il y a la vraie vie.


Le plan :

lundi 12 décembre
préparation pour le départ, lavage, ménage, bagages, courses, etc. 

mardi 13 décembre
départ à 11h
route de 600km sur des routes parfois difficiles, durée : 8h
Étienne prend des images de la route et du voyage 
arrivée vers 19h-20h à Goré, installation dans nos appartements du UNHCR

mercredi 14 décembre
rencontre des autorités UNHCR/préfet et autres à Goré en AM
PM : visite du camp de Gondjé et rencontre des responsables
présentations, échanges avec les réfugiés (ils nous montrent leurs danses)

jeudi 15 décembre
visite du camp d’Amboko et rencontre des responsables
présentations, échanges avec les réfugiés (ils nous montrent leurs danses)

vendredi 16 décembre
AM : ateliers/formations à Gondjé
PM : ateliers/formations à Amboko

samedi 17 décembre
présentation d’un spectacle à Goré en PM (danseurs de Ndam se na et la création que nous avons présentée au Festival Souar-Souar)

dimanche 18 décembre
repos

… puis on reprend les ateliers du lundi au jeudi et on quitte pour N’Djamena vendredi le 23 décembre. 


La vraie vie :

Cinéma Le Normandie
Lundi 12 décembre
Après les préparatifs, nous sommes allés au cinéma Normandie (seule salle de cinéma au Tchad) voir l’avant-première du film « Wulù  - le chien ». Le réalisateur est Malien et le producteur est Français. Belles rencontres sur place — l’équipe de production et l’acteur principal étaient présents pour répondre aux questions. Nous avons fait la rencontre de David Smith, un Canadien qui habite en Afrique depuis une trentaine d’année. Il met sur pied des postes de radios afin que les communautés de différents pays d’Afrique puissent recevoir les informations et se doter d’un système de communication collectif et accessible. Un monsieur super intéressant que nous tenterons de recroiser puisqu’il sera au Tchad pendant les quatre prochains mois afin d’installer des antennes dans les zones frontalières du Nigéria où Boko Haram fait des ravages (la radio permet aux habitants de s’informer de la présence des membres du groupe armé et donc de sauver des vies). On se couche tôt en vue du départ vers Goré mardi !

Mardi 13 décembre
Pas mal fier de mon Tetris !
Nos bagages sont prêts et à 11h on est tous les trois très fébriles, parés pour le départ ! La voiture doit passer au garage pour inspection et une dernière signature de papiers est nécessaire pour la route. On est censé retrouver les autres membres de l’équipe au Ballet National, alors qu’ils partiront en autocar et que nous quitterons en voiture. Au total, nous sommes 15 personnes qui quitterons N’Djamena vers Goré !

Sur la rouou-te deee Goré... ! (ça c'est le super beau tronçon)
À 14h les papiers de la voiture ne sont pas encore réglés (vive l’administration tchadienne). Petite impatience en se rendant compte qu’on ne pourra pas vraiment faire d’images de la route puisque le soleil se couche à 17h30. À 16h nous quittons N’Djamena… Et nous découvrons ce que ça veut dire « des routes difficiles ». Wow. Il y a une partie de la route qui est bitumée… mais il y a d’immenses dos d’ânes à l’entrée de chaque village et la route est parsemée de trous/crevasses entre les villages. Parfois le bitume fait place à la terre/au sable. Sur 600 km, il y a environ 120 km qui sont en très bon état. Le reste, c’est de la gestion de trous, dans le noir, et on passe de 80 km/h à 10 km/h à des arrêts nets… pendant pratiquement tout le voyage. Résultat : nous arrivons à 4h du matin à Goré ! Les derniers 110 km ont duré près de 2h30 — la route a fait place à un sentier de sable à travers une forêt dense. L’euphorie a fait place à une forme d’apathie silencieuse…  Une partie de mon être a accepté que je passerais l’éternité dans cette voiture, brassé de gauche à droite par les bosses, dans le noir. 

À notre arrivée, Goré étaient endormie. Sans électricité sauf devant les bâtiments du UNHCR. La  personne censée nous accueillir dort depuis longtemps. En attendant qu’elle revienne, Roger nous fait remarquer que l’essence est dans le rouge depuis 70km… et qu’on est chanceux que la voiture ne se soit pas arrêtée alors que nous étions en brousse. Sur cette remarque, la voiture s’éteint. À 4h du matin, nous poussons la voiture afin qu’elle ne soit pas au milieu de la route. 



Notre contact du UNHCR arrive avec une minivan, et nous emmène au « compound » fraîchement construit où nous allons habiter. On s’endort très vite.

Pouuuusse...!

Mercredi 14 décembre
Le compound
On se réveille au compound. Grand espace emmuré où plusieurs ONG ont leurs bâtiments. C’est très beau, on est dans la verdure, et ça contraste fort avec N’Djamena ! Les rendez-vous du matin ont été repoussés à l’après-midi, 13h. On rencontre les représentants du HCR, les représentants du CNARR, les autorités de la ville de Goré. Il est essentiel que tous nous voient, nous serrent la main et revoient les autorisations que nous avons recueillies à N’Djamena pour faire le projet. Jusqu’à 17h nous nous présentons devant beaucoup de gens, et chaque fois l’accueil est chaleureux, le projet est louangé et on nous souhaite la meilleure des chances. Comme personne n’a le droit d’être dans les camps après 17h30, nous remettons notre arrivée dans les camps au lendemain.

Goré est une ville d’environ 80 000 habitants. Aucune route goudronnée, un grand marché central, une atmosphère beaucoup plus sereine qu'à N’Djamena. Les gens sont souriants, la nourriture y est fraîche, moins chère et absolument délicieuse. On est très heureux d’y poser nos valises pour les prochains 10 jours. 

Le camps de Gondjé
Jeudi 15 décembre
Dès 8h30 nous reprenons les rencontres avec les représentants de la préfecture (Monsieur le Préfet lui-même) et d’autres département du HCR. Tout est enfin OK pour que nous puissions aller dans le camp de Gondjé !

On arrive à Gondjé sur l’heure du midi. Je suis très, très excité. Enfin on y est, après trois ans de préparation pour y arriver ! On y rencontre d’abord le président du groupe des danseurs, nommé Masta. Infirme, il nous accueille en chaise roulante, et nous offre chaleureusement de visiter le camp. Les chaises roulantes distribuées dans les camps sont très ingénieuses. Il s’agit d’un siège/chaise monté sur deux roues de bicyclettes, actionnées par une chaîne et des pédales placées au niveau de la poitrine et tournées à bras. L’effet de levier créé par la chaîne permet de se déplacer plus facilement dans le sable. Masta est accompagné de Samuel, ancien président du groupe des danseurs. Samuel me raconte qu’il est Tchadien, que ses parents ont été tués pendant la guerre de 1979 et qu’il s’est sauvé vers la Centrafrique. Il y a fait sa vie, s’est marié, a fait des enfants, est « devenu » Centrafricain. La guerre en Centrafrique au début des années 2000 n’a pas épargné sa famille, et il s’est vu contraint de se réfugier au Tchad, dans ce camp où il habite depuis 2006 puisqu’il n’a plus d’attaches au Tchad.

Nous rencontrons le président du camp, nommé Youssouf. Le camp contient quatre « Zones » divisées en quartiers (chaque zone contient de quatre à huit quartiers). Au total, vingt-quatre quartiers composent le camp de Gondjé. Chaque quartier a un représentant élu, et ces représentants élisent à leur tour les représentants des quatre Zones. Un président représente l’ensemble du camp, qui contient environ 15 000 personnes. 

Nous visitons à pied le camp de Gondjé, et nous rencontrons les habitants. C’est immense. En 2h, nous marchons au travers de seulement deux des quatre zones ! Gondjé est devenu, en quelques années, un véritable village. Il n’y a plus de tentes. Les familles se sont établies et grandissent sans arrêt. Les tentes ont été remplacées par des maisons en boue et par des concessions. Plusieurs fermettes abritent de nombreux animaux. Marchands, fermiers, artisans, travailleurs dans les champs, école, champs de foot… tout y est. Les gens ici se sont organisés, et se sont bien organisés. 

Ça commence...!
En début-PM, nous nous rendons à « l’espace des jeunes » où nous donnerons les ateliers. À notre grand étonnement il n’y a personne. On nous explique qu’aujourd’hui, jeudi, la grande majorité des habitants du camp sont exceptionnellement dans les champs. Hier, les nomades (les Peuls) sont arrivés avec leur bétail et leur présence menace de détruire les récoltes. Il faut donc récolter le mil d’urgence. 

On sort tout de même les tam-tams et le saxophone. Geneviève jamme avec Ngarta et les danseurs de Ndam se na esquissent quelques pas de danse. Les enfants s’attroupent discrètement. Je sors un nez rouge et commence à improviser avec eux. Les danseurs Hervé et Raïm se joignent à moi. Improvisation libre de 30 minutes dans l’espace des jeunes. On s’amuse comme des fous. Les enfants sont de plus en plus nombreux. Ils rient, ils ont peur, ils sont fascinés par ce qu’ils voient et entendent. 

Vers 15h les adultes commencent à arriver. Un cercle se forme progressivement. Les danses sont de plus en plus nombreuses. Finalement un groupe de près de 200 personnes est réuni. Les danseuses du camp nous présentent leurs danses. Les danseurs de Ndam se na dansent également. Le saxophone accompagne quatre tam-tams. C’est la fête, et c’est complètement enivrant ! 

Premiers jeux
Vers 16h30, on se réunit afin de présenter l’équipe et de parler aux réfugiés. 
On apprend que les choses ne sont pas si roses qu’elles ne le semblent. Taigue n’est pas venu depuis 2012 et on lui reproche d’avoir abandonné les danseurs de Gondjé et d’Amboko. Dans le camp d’Amboko, il ne reste plus du tout d’activités de danse. À Gondjé, le groupe d’une cinquantaine de personnes s’est progressivement effrité: ils ne sont maintenant plus que seize et aucun homme ne fait partie du groupe. Des tensions sont nées entre les membres du groupe, leurs demandes au HCR pour des costumes et du matériel ont été systématiquement refusées, et ils ne sont plus appelés pour aller faire des spectacles — ce qui leur permettait une certaine rémunération. La déception est palpable.

Taigue explique qu’il a travaillé avec eux de 2005 à 2012, qu’il a d’autres projets dans d’autres camps, avec d’autres réfugiés, dans d’autres pays, et qu’il ne reçoit pas les moyens nécessaires pour venir à Gondjé tous les ans. D’autre part, il leur explique qu’ils ne doivent pas attendre que les choses arrivent, qu’ils doivent être proactifs et développer eux-même leur travail à partir des outils qu’ils ont reçus pendant plusieurs années. En quelques minutes, Taigue les exhorte à s’organiser, à se réunir, à se redonner eux-mêmes la force nécessaire pour continuer. Il explique que nous serons ici pendant 10 jours, puis du 4 au 17 janvier. Le rendez-vous est donné pour le lendemain de 9h à 12 et de 14h à 17h, en leur disant de réunir tous les anciens participants, dont les hommes, pour profiter des nouveaux outils que notre équipe leur offre. 

En rentrant, nous convenons ensembles qu’il vaut mieux concentrer nos énergies à Gondjé cette semaine et garder Amboko pour notre retour en janvier. 
Enfants de Gondjé


Coupé-décalé avec Hervé ! Toofan !!
Vendredi 16 décembre 
À 9h30 nous faisons l’appel au camp de Gondjé, avec tam-tam et danses. Les gens tardent à arriver. 

Finalement le groupe s’agrandit. En après-midi, c’est plus de trois-cent cinquante personnes qui sont présentes afin de suivre ou de regarder les ateliers. Nous faisons tous les trois environ une heure d’atelier chacun, en guise d’introduction à nos formations en chant, en danse et en théâtre. Plus de 75 personnes suivent les trois ateliers. Beaucoup de jeux, de brises-glace, d’animations, etc. Le momentum semble s’installer. La joie est palpable. 

À 17h30, nous devons quitter alors que les gens du camp nous demandent de rester jusqu’à 18h ou 18h30 (tombée du soleil). Nous leur expliquons que ce n’est pas possible — règlements du HCR. 




Discussions avec les participants


Samedi 17 décembre
Le samedi, deux danseurs sont blessés et le spectacle est remis au mercredi soir. Nous en profitons pour faire une réunion afin de planifier la suite des activités. Une grande partie de la journée y passe — c’était nécessaire. 

L’équipe de tournage explique les besoins, les envies et ce dont ils auront besoin de notre part d’ici notre départ jeudi : entrevues de fond, impressions à chaud pendant la journée, prises de rendez-vous afin d’interviewer les autorités responsables… la liste est longue. 

De notre côté, nous devons faire un choix radical : abandonner les activités à Amboko pour se concentrer sur le momentum grandissant de Gondjé, en décembre comme en janvier. Nous informerons les gens d’Amboko qu’ils sont invités à se rendre à pied aux activités de Gondjé. Diviser nos efforts sur deux camps nous semble futile et ne fera que diluer notre travail ainsi que la confiance que nous souhaitons rebâtir avec les gens de Gondjé. 

Le groupe de 75 personnes d’âges variés pose aussi problème. En effet, nous constatons que le chant et le théâtre s’enseignent difficilement à un groupe aussi grand, à l’extérieur, entouré d’un public très participatif. L’écoute et la concentration sont très difficiles. Pour la danse, qui s’enseigne en rangs, avec musique forte et mouvements répétitifs, ce n’est pas un problème… mais ce n’est pas la même dynamique. Nous allons donc revoir le format d’ateliers :

9h-9h30 : Appel aux tam-tams
9h30-11h : Chant avec groupe réduit (le matin il y a moins de gens), à l’intérieur du petit bâtiment construit sur la place des jeunes. 
11h-12h30 : Théâtre (avec un groupe de 30 personnes — nous allons créer une liste)
12h30-14h30 : Dîner — les gens doivent marcher jusqu’à la maison, s’occuper des enfants, etc.
14h30-15h : Appel aux tam-tams
15h-16h30 : Danse (avec le grand groupe)
16h30-17h : Discussion puis départ.

Marché de Goré
Miam...!


En fin d’après-midi nous visitons le marché de Goré et nous achetons tout pour faire à manger : charbonniers, charbon, un kit de chaudrons et de couverts, et plein de nourriture fraîche. Je suis enchanté ! L’équipe de tournage en profite pour faire du repérage en vue de la prise d’images au marché de Goré.

Renaud s’avère être un grand foodie et c’est un bonheur de faire le marché avec lui (d’ailleurs il nous garde à distance afin de pouvoir négocier sans qu’on lui demande un prix de Nasara). 


Le soir : sardines frites (c’est comme des éperlans) et patates frites en entrée, suivis d’un mijoté d’agneau… on se régale !






Dimanche 18 décembre
Congé.
Geneviève et Ngarta en profitent pour se mettre à jour. Ils se partagent leurs expériences: Geneviève montre à Ngarta le travail que nous avons fait au festival Souar-Souar et nous convenons que nous répéterons ensemble les 28-29-30 décembre afin de revoir le travail maintenant que Frédéric est remplacé par Ngarta. 

Lundi 19 décembre et mardi 20 décembre
On installe notre nouveau modèle. Ça se passe de mieux en mieux. Ça semble fonctionner. On a de plus en plus de gens qui assistent aux ateliers et la division du groupe rend les formations beaucoup plus efficaces et constructives. 

Ngarta et Geneviève font ensemble les jams d’appel (à 9h et à 14h30) avec les percussionnistes formés par Ngarta. Ngarta appuie également Geneviève pour les ateliers de chant et ils se découvrent une complicité grandissante. 

Rires et poussière 
Mes ateliers prennent forme. Je dois adapter complètement ma pédagogie à ces gens qui n’ont pas les mêmes références que nous quand on parle de théâtre. Je dois revenir aux bases et accompagner le travail de recherche. Je dois expliquer et montrer plus qu’à l’habitude, et trouver une façon d’arriver à un résultat concret à la fin de chaque période de formation. C’est un beau défi…! Le groupe est composé de personnes super talentueuses. Nous explorons les bases de la création de personnages et de l’interprétation des grandes émotions. C’est super intéressant et motivant de les voir aller.

Le travail dans la poussière, en plein soleil, en action constante, est très difficile sur le corps. Nous sommes exténués le soir, et je sens que la gorge s’irrite de plus en plus. Le soir nous sommes couverts de poussière et nous mouchons noir… le silence dans la voiture sur la route du retour est éloquent. 

À cela s’ajoute une certaine fatigue psychologique. Les premiers jours, je ne voulais voir que les moments de bonheur, de rires, de surprises. Aussi, les couleurs vibrantes des habits, la grande dignité des gens qui sont là et l’énergie monstre qu’ils mettent dans le travail artistique. Plus ça avance et plus je remarque le grand contraste entre la vie qui se dégage des ateliers et la réalité du camps : beaucoup d’enfants habillés en lambeaux, une forte odeur entourant beaucoup de villageois, certains participants qui arrivent saouls aux ateliers à 10h du matin, l’enfant infirme qui se traîne tous les jours sur plusieurs centaines de mètres pour venir voir les ateliers. Lorsque nous terminons une bouteille d’eau, nous sommes soudainement entourés d’un groupe de tout-petits guettant le moment où nous allons la déposer par terre… c’est alors qu’ils se ruent pour la ramasser. Les bouteilles vides sont très utiles ici. Le camp de Gondjé se révèle être un condensé de résilience et de pauvreté, d'espoirs et de souffrance. Les deux se côtoient et évoluent ensembles. En même temps, je pourrais dire la même chose pour le monde entier, non ? 

Lorsque nous quittons, une marée d’enfants accompagne le véhicule. Ils rient, ils crient, ils s’accrochent à la voiture, tombent à la renverse. C’est à la fois très beau et parfois troublant. 

On s’habitue à la vie à Goré. Le soir on se fait à manger en faisant les retours sur les ateliers de la journée. Il y a un rythme ici qui est beaucoup plus lent que celui de N’Djamena. On se sent en campagne au creux de notre forêt de manguiers et c’est très agréable. 

Scène de vie à Goré


SEMAINE 3 - Festival Souar-Souar

5 au 11 décembre 2016

Seulement une semaine depuis la dernière mise à jour du blog… pourtant c’est comme si c’était il y a un mois ! Nous avons toujours cette impression que chaque journée en contient trois, bien distinctes et vibrantes (bouillantes ?) d’impressions, d’informations, de découvertes, de dialogues complexes entre langues et cultures souvent aux antipodes. L’avant-midi, de 9h jusqu’à environs 13h, tout grouille, les plans changent souvent, on est souvent en adaptation/réorganisation pour arriver à répéter au minimum 6h par jour. L’après-midi, période transitoire où le soleil est direct et où la chaleur est intense, se termine abruptement à 17h30 alors que le soleil tombe en à peine 10 minutes. Puis c’est la soirée, cette « journuit » où tout (re)commence — et ça dure jusqu’à minimum minuit-1h. N’Djamena est silencieuse pendant environ deux heures. À partir d’environ 3h30-4h la prière commence, les chiens aboient — ce qui réveille les coqs, et la vie reprend ! Le soleil se lève peu avant 6h. À 9h, le soleil plombe déjà et il fait au moins 27-30 degrés Celsius à l’ombre. À 13h, ça varie entre 35 et 40 degrés. En plein soleil c’est quelque chose…! Le corps travaille fort. Personne n’a envie de courir d’un endroit à l’autre. Le rythme africain est différent, oui : il est dilaté par la chaleur !

C’est drôle… cette semaine a été vécue un peu comme la fin de la « Lune de miel » et le début de la « vraie vie ». C’est vrai pour nos trois duos de collaborateurs (Mathieu/Taigue, Geneviève/Frédéric, Étienne/Cyril) et c’est également le cas pour nos trois Canadiens s’adaptant à la vie tchadienne et se créant une nouvelle forme de routine et d’habitudes. Dans la création comme dans la vie quotidienne, nous avons tous dû nous adapter à des conditions changeantes et souvent incertaines, au stress grandissant que provoque la contrainte du temps, et à la fatigue croissante qui fait tomber les masques et révèle la nature de chacun. C’est un processus très sain en création comme dans la vie. Cela a mené, cette semaine, à de grands fous rires, à de grands moments de doutes, à de superbes découvertes mais aussi à certaines frustrations et à des mises au point majeures. En fait, tout est dans la façon de mener ces mises au point : respecter l’autre, se respecter soi-même, rester curieux et à l’écoute… et surtout savoir être conscient de la grande différence qui nous unit toutes et tous (ahhh, ce merveilleux paradoxe du vivre-ensemble !). 

Dans la catégorie "petites absurdités tchadiennes" : un sapin de Noël  à N'Djamena !



Festival Souar-Souar
Du 6 au 11 décembre se tenait le Festival international de danse Souar-Souar, où des compagnies de 21 pays différents ont proposé des spectacles de danse contemporaine, urbaine et traditionnelle un peu partout à N’Djamena. Un rendez-vous maintenant incontournable dans le panorama des festivals d’Afrique. Les activités du festival se déroulaient principalement dans trois lieux différents : l’Institut français du Tchad (IFT), le Ballet National (où se trouve le village du festival : plein de kiosques, de restauration, avec un grand espace pour manger, boire, rencontrer les festivaliers, etc.) et l’espace culturel Baba Moustafa. 

Cette année, le festival a été marqué par quelques problèmes d’organisation dûs entre autre au manque de financement. En effet, le ministère de la culture du Tchad (il y en a un, mais tout le monde en parle avec un sourire en coin) avait promis un montant substantiel aux organisateurs de l’évènement, et n’a pas tenu ses promesses. Un représentant du ministère a tout de même eu le culot de venir faire un discours à l’ouverture, où il louangeait le festival et ses organisateurs, en célébrant au passage le président de la République. Fortes réactions de cynisme dans la salle pendant le discours…

Résultat : nous n’avons souvent pas eu accès aux salles de répétitions que nous avions réservées et nous avons constamment réorganisé l’horaire de travail en cours de route, passant d’un lieu à l’autre et d’une plage-horaire à l’autre en essayant de gérer les contraintes de chacun : les créateurs qui ont besoin de temps d’exploration, les musiciens qui ont besoin de matériel concret pour travailler, les cinéastes qui n’ont que tant d’heures de lumière dans la journée et qui réclament des moments d’entrevues avec l’équipe. Nous avons appris en milieu de semaine que l’horaire des spectacles tel qu’inscrit dans le programme était changé de fond en comble (par exemple certains étaient programmés le jeudi alors que leur vol de retour était le jeudi… ça peut être problématique !). Ainsi, on nous a dit mercredi que nous n’allions pas jouer le vendredi 9 décembre mais bien le samedi 10 décembre. Une journée supplémentaire de création !!! Le luxe !

Mis à part les problèmes logistiques, nous avons eu la chance d’assister aux spectacles des premiers jours (mardi et mercredi) — jeudi et vendredi on a passé nos soirées/nuits en répétitions ou en train de préparer les accessoires, costumes, bande son, etc. Chaque soir, une dizaine de prestations (entre 5 min et 1h) étaient proposées au public. 

Le spectacle d’ouverture du slameur Burkinabé Smokey, "Nuits blanches à Ouagadougou", a ouvert le bal de façon fracassante, troublante et bouleversante. Accompagné de quatre danseurs, il relate la révolution  populaire qui a mené au récent renversement du régime. Grand poème bougé exprimant le soulèvement du peuple, le sang versé et les vies brisées pour permettre aux générations futures de vivre une vie meilleure. Malgré quelques longueurs et quelques redites, le texte est fort, il fait réfléchir et il se veut un appel à la mobilisation populaire. Il faut dire que Smokey était un des principaux leaders de cette révolution. D’ailleurs, il est arrivé à N’Djamena à 14h mardi et il quittait à 22h juste après le spectacle (les organisateurs du festival avaient peur qu’il prenne trop de place dans l’espace public et que les autorités s’en mêlent). 

Autre point fort : la danseuse Marion Alzieu (Compagnie MA'), qui dansait dans le spectacle des Burkinabés et qui a aussi présenté un duo et un solo. Cette bougeuse extraordinaire envoute le public par la précision de ses mouvements, par la clarté de ses gestes et par son style mélangeant danse contemporaine/mime/clown rappelant les grands moments de James Thiérrée. C’est à la fois percutant, sensible, drôle, tendre… elle est sans aucun doute mon coup de coeur du festival.

Enfin, nous avons assisté avec grand bonheur au résultat du travail mené pendant dix jours par les trois chorégraphes allemandes (sous la direction d'Anna Konjetzky) avec les danseurs de Taigue et les sept réfugiés de la région de Maro. Quel beau travail, tendre et touchant, ayant comme thème « qu’est-ce que je changerais dans ma société ? ». 

L’équipe s’agrandit!
L’ambassade d’Allemagne a, à la dernière minute, débloqué des fonds pour que les danseurs de Taigue, accompagnés de la dramaturge Sarah et du photographe/traducteur Ibrahim puissent nous accompagner dans les camps en décembre et en janvier afin de mener un projet de recherche auprès des réfugiés, menant à un spectacle de danse inspiré par la réalité des réfugiés — spectacle qu’ils créeront dans les mois qui viennent. Quelle belle nouvelle !! Nous allons donc passer beaucoup plus de temps avec cette belle bande de superbes personnes à qui nous avons donné des ateliers pendant trois jours à notre arrivée à N’Djamena ! Nous aurons aussi l’occasion de créer de courts spectacles en collectif, que nous proposerons aux habitants de Goré ! Joie !

Création — doutes, étincelles, éclatements
Malgré les soucis d’horaire et de réservations de salles, nous avons réussi à monter 20 minutes solides de matériel très différent du 20 minutes préparé à Moncton en 2015. Nous nous sommes concentrés sur la « Zone Rouge » qui isole certains pays d’Afrique — dont le Tchad. Nous avons poussé plus loin la rencontre entre jeu clownesque et danse contemporaine et la recherche d’un rapport au public rendant ces deux formes possibles en même temps. Nous avons été très agréablement surpris du retour positif du public (rappelons-nous l’extrême honnêteté du public tchadien en cours de représentation…) et des collègues. Beaucoup nous ont dit que c’était trop court, qu’ils en voulaient plus, que 5 minutes ce n’est pas assez (je rappelle qu’on a présenté 20 minutes !). 

En répétition à l'IFT
Taigue et moi trouvons progressivement une manière de concevoir le travail ensemble malgré les différents réflexes de création et les différentes méthodes d’écriture scénique. Cela requiert, de part et d’autre, une grande ouverture et une grande curiosité envers l’Autre, et en même temps une grande confiance en nos propres aptitudes afin de défendre clairement nos approches distinctes et d’inviter l’autre à nous y rejoindre. Heureusement nous souhaitons tous les deux assumer et provoquer les chocs (culturels, formels, linguistiques) plutôt que d’opter vers un nivellement un peu boiteux. 

Le duo Étienne/Cyril, auquel s’ajoute maintenant Renaud (associé/chef opérateur de Cyril) continue de naviguer à travers nos hauts et nos bas, et comme ils se connaissent de mieux en mieux ils se divisent le travail de façon différente et de plus en plus efficace. Étienne est confronté au clash technologique entre le Canada et le Tchad, alors qu’il rencontre de plus en plus de cinéastes d’ici. Et nous découvrons un problème inusité : exposer correctement l’image lorsque le plan contient des personnes blanches et des personnes noires…! C’est encore en chantier. Cyril, de son côté, doit gérer le fait de filmer avec une équipe de Blancs (« nasara »), ce qui demande son lot d’autorisations, de permissions, d’explications supplémentaires, etc.

Geneviève et Frédéric ont, de leur côté, vécus de plus grandes difficultés. Plus le travail avançait et plus le mur séparant les univers musicaux, artistiques et personnels semblait insurmontable. Ce joueur solitaire, un griot qui fait la même chose depuis trente-cinq ans et qui le fait très bien, n’arrivait pas à prendre sa place dans un processus de création collaboratif et expérimental. Qui plus est, le griot est, traditionnellement, muni d’un don envoyé par Dieu et par lequel il gagne sa vie. Il est donc peu enclin à transmettre son art ou à voir sa voix et sa musique transformés, dénaturés, mélangés à d’autres formes et d’autres styles. En parallèle, il semble que Frédéric vit de grands problèmes personnels et familiaux à l’extérieur du processus que nous menons, et son implication dans le travail en a beaucoup souffert. Mercredi matin, Geneviève nous avouait difficilement se sentir larguée et peu respectée par Frédéric lorsqu’ils travaillent seuls tous les deux. Mercredi PM, il est arrivé en répétition trois heures en retard et en boisson… Nous l’avons gentiment renvoyé chez lui.


Après excuses et explications, nous avons continué à travailler jusqu’au spectacle le samedi mais nous avons convenus tous ensemble qu’il valait mieux que le voyage s’arrête pour lui dès lundi. Il sera donc remplacé par le percussionniste Ngarta, collègue de Taigue depuis 2006, percussionniste en chef au Ballet National de N’Djamena avec un pied dans la tradition et l’autre dans la création (il a été membre du groupe « Tibesti » pendant plusieurs années, et a tournée en Europe et partout en Afrique). Ngarta va nous suivre dans les camps de réfugiés et intégrer le processus de création. C'est donc un nouveau chapitre qui s’ouvre de ce côté !