vendredi 23 décembre 2016

Mercredi 21 décembre 2016 - Tout bascule

Ce matin, à l’horaire : l’équipe de cinéastes rencontre les représentants du CNARR (Commission Nationale d'Appui à la Réinsertion des Réfugiés). L’idée est d’en apprendre plus sur l’historique des camps et la façon dont on gère les habitants, leurs besoins, leur bien-être, etc. Nous nous rejoignons ensuite à 9h pour partir dans les camps et poursuivre le travail de formation.

La réalité : à 9h, lorsque Geneviève et moi arrivons au point de rendez-vous pour le départ, on se fait dire qu’on ne va pas dans le camp ce matin… en fait, les autorités du CNARR, qui ont été très sympathiques avec nous dès le premier jour en nous encourageant dans nos activités, ont soudainement changé de ton. Selon eux, nous n’avons pas les autorisations nécessaires pour donner des ateliers et filmer dans les camps (ce qui est complètement faux). Malgré les papiers que nous avons, ils nous empêchent soudainement de retourner auprès des réfugiés et ils nous demandent de leur livrer toutes les images tournées depuis notre arrivée…


choc.

Nous sommes donc confinés au compound toute la journée, en attente. Nous n’avons pas encore donné les images, et Taigue est en discussion avec les responsables, qui sont censés communiquer avec N’Djamena. L’administration ici étant très complexe et prenant beaucoup de temps (c’est une ancienne colonie française, après tout…), nous n’avons pas encore de nouvelles et nous sommes en fin de journée. Demain, au lieu de donner notre dernière journée d’ateliers avant notre retour en janvier, nous allons prendre la route pour N’Djamena vers 4h du matin. Nous voulons quitter la ville le plus rapidement possible afin qu’on ne vienne pas nous réclamer nos caméras et notre matériel. Nous souhaitons fort que tout pourra se régler dans la capitale…

Ça fait réfléchir. C’est désolant, c’est triste.

Nous apprenons que depuis lundi, le CNARR a envoyé quelqu’un nous observer. Il se trouve que cette personne est un représentant du Ministère de l’Intérieur (lire "sécurité et propagande"). C’est lui qui a tout bloqué. Il se méfie. Cette bande d’artistes va-t-elle montrer des choses qu’il ne faut pas montrer ? Va-t-elle soulever des questions qu’il ne faut pas soulever ?

Il faut dire qu’on est une équipe de 15 personnes sur place. En plus des ateliers qui se donnent, il y a deux caméras qui filment les activités et le camp. Par-dessus cela, il y a six danseurs, une dramaturge et un photographe/traducteur qui font un projet de création autour de la réalité des réfugiés, qui rencontrent les villageois, qui leurs posent des questions sur leur vie, qui réfléchissent sur leur situation. Ça fait beaucoup d’observateurs en même temps. En plus, on est dans une société qui se méfie fort des caméras. Depuis l’Arche de Zoé, on a peur d’être utilisés à des fins commerciales ou politiques.

Par contre, dès notre arrivée la semaine dernière on a passé une journée entière à rencontrer toutes les autorités compétentes du HCR, du CNARR, de la Préfecture, de la Mairie, de la présidence du camp elle-même… Partout nous avons expliqué le projet, partout on nous a reçus à bras ouverts, on a compris le projet, on a vu les autorisations, et on nous a félicités tout en nous encourageant dans nos initiatives. Pourquoi ce revirement soudain de situation ? 

Le chef du CNARR a quitté hier pour ses vacances et ce matin son équipe nous bloque la route. Qui a pris cette décision ? Qu’ont-ils à cacher ? On fait chanter et danser des réfugiés, merde !

Il est dangereux de museler des artistes… ils vont toujours trouver une façon de creuser.

Je suis triste. Triste qu’on mette fin à des activités de sensibilisation, de paix et d’espoir pour des raisons politiques et, honnêtement, très louches. Depuis lundi, nous martelons aux participants à nos ateliers qu’ils doivent se présenter à l’heure afin d'en profiter au maximum, et qu’on va les accompagner jusqu’à jeudi puis du 4 au 17 janvier afin de créer quelque chose d’unique. Ce matin nous n’étions pas là. Demain nous n’y serons pas non plus. On ne sait pas si les autorités vont nous laisser revenir en janvier. Comment créer un climat de confiance dans ces conditions ?… Il y avait pourtant un magnifique momentum. 

Taigue craint qu’il y ait de la grogne et peut-être de la casse dans le camp. Si les habitants de Gondjé apprennent que le CNARR leur a enlevé ces ateliers, ils pourraient se révolter, manifester collectivement, et ça peut vite se dégrader — ce qui ne ferait que donner des munitions au CNARR pour dire que notre présence est nuisible. 

Je suis dégoûté. C’est d’une absurdité monstre et d’une injustice odieuse.

On plie bagage, on quitte demain matin, et on espère pour le mieux.

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