samedi 31 décembre 2016

28-30 décembre - Retour au boulot… et surprise : les plans changent !! Eh oui.

28-29-30 décembre 2016

Nous étions censés être en répétition les 28-29-30 décembre à l’IFT. Au menu : revoir ensemble le vidéo de ce que nous appelons maintenant « Zone rouge » (le work-in-progress que nous avons présenté au festival Souar-Souar) afin d’y apporter les modifications nécessaires suite à cette première représentation publique et en vue de la reprise. En effet, entre le 15 et le 17 janvier nous prévoyons présenter un spectacle à Goré et dans le camp de Gondjé, où les réfugiés montreront aussi le résultat de leur travail de formation avec nous. En vue de cette reprise, nous avons pas mal de détails à préciser au niveau de l’espace et des chorégraphies, et nous devons revoir l’environnement sonore maintenant que Frédéric a été remplacé par Ngarta. Pas mal de pain sur la planche, donc!

C’était le plan — mais comme les choses changent…! Tout bouge, comme dirait l’autre. 

D’abord, le 28 au matin Taigue et Sarah se sont rendu compte, au réveil, que la moto de Sarah leur avait été volée pendant la nuit. Les voleurs ont coupé les barbelés, sont entrés dans la concession et ont pris la moto. Les « Taigue » (les groupes de gens sont nommés d'après leur « leader »... je suis le chef des « Mathieu »!) ont passé une bonne partie de la journée à gérer la situation avec les autorités. De notre côté, Geneviève a eu une rechute suite à son indigestion de la veille de Noël et elle a été clouée au lit toute la journée. 

Le 29 en AM toute l’équipe s’est réunie pour visionner le vidéo à plusieurs reprises, donner les commentaires et prévoir le travail de répétition. En après-midi se tenaient les funérailles de Modilé. On a tenu à respecter le choc du deuil vécu par nos amis ici — tout le monde est touché de très près par la mort du jeune Modilé. Un grand concert réunissant des dizaines d’artistes et plusieurs centaines de spectateurs a été organisé pour le vendredi 30, suivi d’une veillée. (Malheureusement, les génératrices ont lâché vers minuit, mettant abruptement fin à l'hommage. Décidément.) Avec tout ce qui se trame, nous avons remis les répétitions au début janvier, quitte à répéter les week-ends alors que nous serons à Goré.

En parallèle, ça me permet à la fois de prendre un peu de temps pour récupérer de cette grippe qui a continué de s’acharner ces derniers jours, tout en étant là pour Geneviève qui est encore malade. Aussi, ça me donne l’occasion de prévoir la suite de mes ateliers. En effet, comme le temps qui nous reste à Gondjé est limité et que les participants ne sont pas habitués à la recherche et à l’écriture, je m’attèle à imaginer quelques canevas de scènes que nous pourrons travailler ensembles en vue du spectacle qu’ils présenteront. J’espère arriver à ce que nos trois ateliers (danse-chant-théâtre) puissent s’entrelacer et se compléter dans le cadre d’une seule mise en scène. C’est un beau défi, j’en rêve la nuit et c’est bien d’avoir le temps d’y réfléchir et d’asseoir un plan d’attaque. Ma principale préoccupation se situe au niveau du propos. Rappelons-nous qu’ici, l’art est à 99% un outil de sensibilisation. L’abstraction, la métaphore, le deuxième degré et la double-image ne sont pas monnaie courante, et ne sont souvent pas compris — en fait les gens n’y voient pas d’intérêt. Comment briser les conventions lorsqu’on s’adresse à des gens qui n’ont souvent aucune référence théâtrale ? Quelles sont les conventions ?…  Je cherche donc une façon d’ouvrir les horizons artistiques des participant.e.s tout en m’assurant de rester proche de leur réalité. Il faut tout de même que ça résonne, pour eux et en eux. 


Sinon, on s’habitue doucement au départ d’Étienne. C’est bizarre, quand même.  Il était toujours là, il faisait partie de la routine, et c’est un peu étrange de ne plus avoir les mêmes discussions de Canadiens au sujet des absurdités quotidiennes (!). D’autant plus que l’équipe, ces derniers jours, a été plutôt morcelée étant donné tous les évènements. 

Sans voiture (elle est au garage), Geneviève et moi avons commencé à avoir une petite routine n’djamenoise. Nous avons rencontré un chauffeur de taxi super sympathique, nommé Adoum. C’est maintenant notre chauffeur de choix. Il est toujours disponible, il nous a laissé son numéro, on se sent en sécurité et il ne nous demande pas un prix effarant comme le font la plupart des taximan. En fait, il a maintenant arrêté de négocier un prix avec nous. Plutôt, il nous dit de lui donner ce qu’on veut, ce qu’on peut. Selon les copains ici, c’est la meilleure chose à N’Djamena. Pour nous c’est bien : on se sent plus libres. En plus, Adoum (qui ne parle pas beaucoup français) nous donne de super cours d’arabe pendant les courses. C’est plutôt génial et assez rigolo — on apprend des mots complètement aléatoires ! Souris, cheval, froid, pardon, marché de mil, téléphone cassé, etc. (que nous avons tous oubliés... jusqu'à la prochaine course!)



26-27 décembre - Des réponses ?… meh… des bonnes nouvelles ?… re-meh…


Que de poussières qui ne semblent pas vouloir retomber…

En début de semaine Taigue et Cyril rencontraient le responsable du Ministère afin d’avoir des explications sur ce qui s’est passé. Après deux jours de rencontres reportées, d’attente de nouveaux papiers à signer, on nous a dit qu’il y a bon espoir… et qu’on devrait avoir une réponse le 3 janvier ! Le 3 janvier !! 

Il apparaît clair que nous subissons directement les contrecoups de la crise sociale qui fait rage au Tchad.

Depuis que nous sommes ici on nous parle de « vache maigre » (expression signifiant qu’on est en période d’austérité), on nous souligne que les enseignants, les professeurs, les médecins et les fonctionnaires sont en grève depuis trois mois. Qui plus est, depuis l’été le fonds de bourses aux étudiants a été complètement suspendu et les fonctionnaires de l’état ne reçoivent que 50% de leurs indemnités. Personne ne va à l’école ou à l’université depuis le début de l’automne. Les hôpitaux offrent des services minimaux. Lorsque Taigue et Cyril on rencontré les fonctionnaires, c’était à leur domicile, d’où ils travaillent en temps de grève. Le 27 décembre le président annonçait que les grévistes ne seraient plus rémunérés : nous assistons donc à un bras de fer entre les syndicats et le gouvernement. Tout marche au ralentit. Dans ce contexte, nous souhaitons une réponse le 3 janvier — mais l’aurons-nous ? 

Il y a quelques semaines, Deby annonçait qu’il n’y aurait plus de réfugiés au Tchad en 2017. Il cherche ainsi à gagner des points politiques en cette période houleuse. En effet, une partie de la population s’indigne de voir que les réfugiés ont certains « privilèges » (rations, logements, terres, etc.) que la population, en pleine crise économique, n’a pas. Bref, c’est donc le CNARR qui va progressivement prendre l’ensemble de la responsabilité des camps — qui deviendront des villages tchadiens. Voilà pourquoi il y a eu cette guerre de mini-pouvoirs lorsque les représentants du CNARR se sont rendu compte que les autorisations étaient passées par le HCR et non par eux. Ils se sont sentis dépassés et ils répondent par l’intimidation. Lorsqu’on sent le besoin d’intimider des artistes qui viennent offrir des espaces créatifs de paix, on est rendu très bas…

Par-dessus le marché, pendant la nuit du 25 décembre un jeune homme, l’animateur et journaliste culturel Modilé Lebad, est mort alors que le fils d’un député, en boisson, l’a gratuitement et injustement poignardé — en pleines célébrations. Le milieu artistique au complet est en deuil devant le départ subit de cette personnalité publique très engagée, se battant pour la promotion des arts et de la culture depuis plusieurs années. Le fait que ce soit arrivé des mains du fils d’un député (il sera envoyé en prison mais il ne subira probablement qu’une justice partielle puisqu’il est protégé par son statut) n’a rien pour calmer la grogne populaire. 

La fin 2016 est mouvementée à N’Djamena…

Malgré tout, on a fait une grande réunion-bilan (artistique, logistique, finances) des dernières cinq semaines, on a évalué les différentes options pour le reste du séjour, on a enregistré deux entrevues de fond pour notre film-documentaire et l’équipe de cinéastes a pris des images de N’Djamena (B-Roll). Nous devions en effet boucler plusieurs détails avant le départ d’Étienne. Eh oui : le séjour d’Étienne prenait fin le 27 décembre. Le reste du travail de captation sera effectué jusqu’au 22 janvier par Cyril et Renaud. Tout était prévu à cet effet, mais c’est tout de même très étrange de voir un membre de l’équipe quitter le groupe après tant de péripéties vécues ensemble.


Nous avons terminé la soirée du 27 décembre au restaurant le Carnivore, tout près de l’aéroport, avec plusieurs amis. Étienne a quitté (à reculons…) N’Djamena à 23h55. 

NAWOUELLE !

24 et 25 décembre 2016 !


Sous les tempêtes de sable qui s’abattent sur la ville depuis le 22 décembre, N’Djamena nous offre un ciel grisonnant, avec des percées orangées ou ocres. Peu de soleil pour réchauffer les coeurs en cette période de Fêtes. Un brouillard épais semble tout englober. Les paysages nocturnes sont surréels — les voitures et les gens semblent émerger de nulle part, spectres bien vivants dans la nuit tchadienne. 

Par contre la chaleur humaine compense mille fois l’hostilité du climat. Nous sommes entourés de personnes merveilleuses. Le 24 décembre en soirée, nous sommes d’abord allés assister à une messe de Noël tchadienne. Dans l’église extérieure, recouverte d’un toit de taule, plusieurs centaines de personnes étaient réunies. Les enfants présentaient des chorégraphies excessivement mignonnes — les mouvements de danse traditionnelle faisaient bouger les ailes de carton accrochées dans leurs dos ! C’est au son de « Gloo-ooooo-ooooo-ooooo-ria…in excelcis de-o… » que nous avons fait notre entrée dans l’église. Se sont ensuite enchaînés sermons en français et en patois, où l’on nous parlais à la fois de la joie de l’arrivée du Sauveur et du grand fléau qu’est l’avortement… j’avoue que ça n’a pas très bien passé, ça. Je regardais tout cela en passant de la curiosité à l’étonnement à la fascination à l’incompréhension. Le choeur, accompagné d’un clavier, d’une guitare électrique, de percussions et d’un balafon (!), scandait le tout. Il fallait voir Geneviève, médusée par le mélange des rythmes traditionnels et des chansons de Noël, alors que le chef de choeur battait la mesure en 4/4 sur un rythme qui ressemblait à du 16/23*6-2…! Pourtant ça marche — mais nos oreilles occidentales ne perçoivent tout simplement pas le rythme de la même façon. 

En fin de soirée nous sommes allés manger entre amis au bar « Le Zénith », où on avait cuisiné un mouton entier pour l’occasion. En journée, nous en avions profité pour acheter quelques denrées rares — dont du vin et un bon scotch ! Une très belle soirée, dans un décors où le faux marbre et les déesses grecques veillaient sur nous. Nous avons chanté à tue tête des hymnes de Noël, tentant tant bien que mal d’enterrer le boum-boum qui jouait dans le bar. Dehors, la tempête de sable rappelait une tempête de neige — vision étrangement rassurante…!

Ah ! J’oubliais : notre cadeau à nous de nous en ce 24 décembre !! À 11h le matin nous sommes allés voir Star Wars au Normandie. Hihi ! Nous devions être dix (tous des nasara) dans la salle, mais nos trois coeurs de geeks tout gonflés remplissaient certainement le lieu et bien au-delà ! Comble de luxure : nous avons apporté une barre de chocolat achetée la veille. Moment de bonheur hors du temps, loin des ânes, des gendarmes et des autorités corrompues, alors que nous avions les yeux rivés sur l’écran sombre (oui, il y a un projecteur brulé au Normandie… les films sont tous un peu sous-éclairés — mais ça va !!), la tête dans les étoiles en grignotant notre chocolat au riz soufflé. C’est nouel c’est nouel c’est nouel !

Le lendemain, nous avons passé la majeure partie de la journée à jouer aux cartes, confinés à l’intérieur par le brouillard de poussière qui pesait dehors. Faut dire que toute cette poussière n’a fait qu’empirer ma grippe (ah, la frustration du temps des Fêtes) et que Geneviève et moi avons combattus une indigestion monstre liée au repas de la veille (eh oui…). Étienne a été épargné. Nous avons donc pu conclure que le coupable n’était ni le mouton, ni le scotch, mais bien la carpe braisée — Taigue et Sarah en ont mangé aussi et ont vécu le même tord-boyaux. Nous avons donc enchaîné les parties de 8 et de bataille corse habillés en mou en écoutant de la musique et en se tenant le moins loin possible des WC — un vrai 25 décembre, quoi. Grippe, indigestion et jeux de carte : seems about right !

Nous qui pensions profiter de la journée pour visiter la famille de Taigue et vivre un 25 décembre tchadien… On remet ça au 1er de l’an !


Pour celles et ceux qui se demandent : voici notre nid de N'Djamena.



vendredi 23 décembre 2016

Vendredi 23 décembre - Encore des complications…

On se réveille à N’Djamena, un peu perdus. Je suis complètement malade, enrhumé, la gorge fortement irritée et le corps complètement déshydraté. La poussière des derniers jours et le soleil ardent font leur effet. Je réalise que je n’ai bu que quelques gorgées d’eau et deux sodas pendant la journée d’hier. 

En avant-midi, Taigue et Roger (qui sont arrivés vers 2h30 du matin) viennent nous rencontrer à la maison pour faire le point. 

La situation n’est pas jojo.
Hier, alors que Geneviève, Étienne et moi montions dans l’autocar, les gendarmes sont arrivés pour le constat, mitraillettes en main comme il se doit. Ils ont refusé de mettre la faute sur les ânes, prétextant que selon l’angle de la voiture c’est nous qui avions volontairement frappé les bêtes… Je répète : selon l’angle de la voiture, nous avons VOLONTAIREMENT frappé les ânes !!! Voyons donc !! S’exprimant avec les villageois en patois que ni Roger ni Taigue ne comprennent (plus de 280 dialectes au Tchad), ils ont clairement choisis leur camp. Ils ont refusé de faire un constat pour nos assurances. Le propriétaire des ânes est arrivé, réclamant un dédommagement pour ses bêtes. Taigue et Roger ont été entourés des villageois. Taigue a refusé catégoriquement de payer.

Ça aurait pu chauffer… 

Heureusement, un chef du village qui était venu directement après l’accident a pris parole et il a calmé le jeu. Un colonel de police qui passait en voiture n’a pas voulu intervenir directement dans l’affaire, mais a tout de même proposé à Taigue et Roger de les escorter jusqu’à Bongor pour aller faire réparer la voiture avant la tombée du jour. Ils ont ainsi évité les violences qui surgissent souvent dans ce genre de situation. 

Donc : pas de constat, pas d’assurances… À Bongor un mécanicien a grossièrement arrangé la voiture afin que les gars puissent rouler doucement jusqu’à N’Djamena (en mettant de l’eau dans le radiateur en cours de route). 

On est tous un peu dégoûtés ce matin. C’est complètement injuste. 

Par chance nous ne sommes pas restés sur place, parce que ça aurait été encore pire. Lorsqu’il y a des Blancs, on demande beaucoup plus d’argent — et de façon beaucoup plus insistante. Lorsqu’un parti a des mitraillettes de son côté, disons qu’on sait qui a le dernier mot. 

Heureusement on n'a pas payé les ânes — notons que j’étais prêt à défendre Geneviève corps et âme s’ils nous la demandaient en échange !!!… en même temps il parait que ça se mange. Ça aurait fait un bon champvallon pour le temps des Fêtes…! 

Blague à part, pour l’instant la voiture est au garage et nous attendons le devis. Nous verrons ensuite comment on peut s’arranger pour payer tout ça. Nous avons prévu de l’argent pour les « imprévus », mais le montant est tout de même limité… À voir.

Dans la sphère « CNARR », Cyril et Taigue sont allé au Ministère de l’Intérieur ce matin. On leur a donné rendez-vous lundi. Tout est donc en suspens. 

… ça va faire une drôle de veille de Noël… Mais bon, que peut-on y faire ? On va prendre le temps d’arriver, on va se reposer un peu après toutes ces émotions, on va remplir le frigo et on va profiter des Fêtes comme tout le monde pour décompresser un peu. 

Comme me disait Marc-André tout à l’heure : ça a l’avantage de faire de sacrées bonnes histoires à raconter autour de la table !

Réconfort : en fin d'après-midi nous sommes allés au "Modern Market", où on trouve les produits européens. Le sentiment de culpabilité passé, on s'est lancés en fous dans le tas...! Fromages, chocolats, yaourt, saucissons... On était comme trois enfants sous un sapin de Noël (en plastique). C'est Noël pour nous aussi, après tout !!! (et ce même s'il fait 35 Celsius !)

En soirée, on s'est préparé un bon poulet basquaise et on a mangé du chocolat pour dessert.
Geneviève a fait un jeu de cartes et on a joué au "8" jusqu'en fin de soirée. On commence doucement à croire que c'est la veille de Noël demain...!

D'ailleurs pour ce réveillons nous allons, avec les amis, acheter un mouton entier et le préparer ! MMbêêêh !

Le jeu de cartes "fait maison", aux couleurs tchadiennes, construit par Geneviève...!


Jeudi 22 décembre - Acharnement du sort…

Décidément.

On a quitté Goré ce matin à 4h45 afin d’éviter les « problèmes ». En effet, avec ce qui s’est passé au CNARR, les contrôles de polices (très fréquents sur la route — pratiquement à chaque entrée de village) pourraient avoir été mis au courant de la situation et pourraient nous demander de leur donner nos images, nos caméras, etc. Surtout sur la route entre Goré et Moundou. (env. 250 km). 

Photos de crevaison et de route (crédit Étienne Boivin)
Note : les points de repère sur la route, pour les fans de Google maps : Goré-Moundou-Kelo-Bongor-Gelendeng-N’Djamena. Les traits d’union, ce sont des trous ;o) 

La route entre Goré et Moundou est vraiment très difficile (surtout les 110 premiers km, où on est sensiblement sur un chemin de terre/sable plein de trous.). On parle de 2h30 pour faire 110 km. Au moins cette fois on roule de jour puisqu’à partir de 6h le soleil se lève. 

7h00, sur la route entre Goré et Moundou : crevaison (bien entendu). On a vidé le coffre et on a changé le pneu. On a également regonflé tous les pneus au village suivant. 

11h, Moundou : on s’arrête manger des grillades de chèvre avec de la sauce piment / bile. (Eurk. C'est rare, mais la bile... je ne suis pas fan.)







15h, à environ 20 km de Bongor : accident. On cuit doucement à la chaleur du soleil, nos yeux pleurent de la poussière et nos poumons sont en train de se transformer en papier sablé. Sur la route bitumée pleine d’énormes trous et crevasses (on s’y habitue après un moment), on continue de s’étonner devant la beauté de la nature et des villages que nous croisons. Soudainement, quatre ânes surgissent des herbes hautes devant nous. Nous allons à environ 80 km/h. Roger freine et tente d’éviter les animaux — en vain. Nous percutons les deux adultes de plein fouet. Choc. Silence.

Heureusement tous les cinq dans la voiture sont sains et saufs. 

« Merde ! » 

La voiture après les ânes...
Taigue sort de la voiture, suivi de Roger — toujours sous le choc. Nous sortons tous. Deux ânes gisent au sol. Les bêtes, haletantes, sont pleines de coupures. Une a deux pattes cassées (dont un os qui sort de la patte) et l’autre semble agoniser. Les villageois commencent à s’attrouper. La voiture est complètement emboutie et défoncée à l’avant — ça coule sous le radiateur. 

Les autres conducteurs s’arrêtent, viennent nous saluer, s’assurer que tout est OK. Mots d’encouragement et de soutien. On appelle les autorités. 

L'autocar (voir la déco...)
Heureusement, l’autocar qui conduit le reste de l’équipe passe environ 45 minutes plus tard. Taigue nous dit de partir, et qu’il vaut mieux que lui et Roger gèrent la crise sans les trois Blancs autour. On embarque dans ce véhicule complètement surréel. L’intérieur est coloré, des tissus festifs pendent de partout, les lumières sont multicolores, on dirait un autobus de vacanciers — mais c’est la norme pour ces autocars, qui font le voyage tous les jours. Le conducteur nous offre gracieusement de prendre place (il restait trois places, comme par hasard). 

On se rend à Bongor, 20 km plus loin. Halte pour manger. On n'a pas faim. On repart. Le soleil tombe. À 18h l’autocar s’arrête pour la prière. À 20h nous arrivons à N’Djamena. Un membre de la famille de Renaud nous ramène à la maison, avec notre pile de bagages, d’instruments, de masques, de costumes, etc.

Taigue nous appelle vers 21h pour dire qu’ils ont pu apporter la voiture à Bongor, qu’ils sont au garage et qu’ils vont rentrer à N’Djamena dans la nuit.

Ouf.

Tout ceci étant, on a été très chanceux : aucun blessé, pas de séquelles. Roger a très bien réagi et n’a pas fait de mouvements brusques avec la voiture. On se couche et on espère que les choses se règleront demain. 


Bonne nuit !

Comic relief : Bongor et Memramcook -- même combat !


Mercredi 21 décembre 2016 - Tout bascule

Ce matin, à l’horaire : l’équipe de cinéastes rencontre les représentants du CNARR (Commission Nationale d'Appui à la Réinsertion des Réfugiés). L’idée est d’en apprendre plus sur l’historique des camps et la façon dont on gère les habitants, leurs besoins, leur bien-être, etc. Nous nous rejoignons ensuite à 9h pour partir dans les camps et poursuivre le travail de formation.

La réalité : à 9h, lorsque Geneviève et moi arrivons au point de rendez-vous pour le départ, on se fait dire qu’on ne va pas dans le camp ce matin… en fait, les autorités du CNARR, qui ont été très sympathiques avec nous dès le premier jour en nous encourageant dans nos activités, ont soudainement changé de ton. Selon eux, nous n’avons pas les autorisations nécessaires pour donner des ateliers et filmer dans les camps (ce qui est complètement faux). Malgré les papiers que nous avons, ils nous empêchent soudainement de retourner auprès des réfugiés et ils nous demandent de leur livrer toutes les images tournées depuis notre arrivée…


choc.

Nous sommes donc confinés au compound toute la journée, en attente. Nous n’avons pas encore donné les images, et Taigue est en discussion avec les responsables, qui sont censés communiquer avec N’Djamena. L’administration ici étant très complexe et prenant beaucoup de temps (c’est une ancienne colonie française, après tout…), nous n’avons pas encore de nouvelles et nous sommes en fin de journée. Demain, au lieu de donner notre dernière journée d’ateliers avant notre retour en janvier, nous allons prendre la route pour N’Djamena vers 4h du matin. Nous voulons quitter la ville le plus rapidement possible afin qu’on ne vienne pas nous réclamer nos caméras et notre matériel. Nous souhaitons fort que tout pourra se régler dans la capitale…

Ça fait réfléchir. C’est désolant, c’est triste.

Nous apprenons que depuis lundi, le CNARR a envoyé quelqu’un nous observer. Il se trouve que cette personne est un représentant du Ministère de l’Intérieur (lire "sécurité et propagande"). C’est lui qui a tout bloqué. Il se méfie. Cette bande d’artistes va-t-elle montrer des choses qu’il ne faut pas montrer ? Va-t-elle soulever des questions qu’il ne faut pas soulever ?

Il faut dire qu’on est une équipe de 15 personnes sur place. En plus des ateliers qui se donnent, il y a deux caméras qui filment les activités et le camp. Par-dessus cela, il y a six danseurs, une dramaturge et un photographe/traducteur qui font un projet de création autour de la réalité des réfugiés, qui rencontrent les villageois, qui leurs posent des questions sur leur vie, qui réfléchissent sur leur situation. Ça fait beaucoup d’observateurs en même temps. En plus, on est dans une société qui se méfie fort des caméras. Depuis l’Arche de Zoé, on a peur d’être utilisés à des fins commerciales ou politiques.

Par contre, dès notre arrivée la semaine dernière on a passé une journée entière à rencontrer toutes les autorités compétentes du HCR, du CNARR, de la Préfecture, de la Mairie, de la présidence du camp elle-même… Partout nous avons expliqué le projet, partout on nous a reçus à bras ouverts, on a compris le projet, on a vu les autorisations, et on nous a félicités tout en nous encourageant dans nos initiatives. Pourquoi ce revirement soudain de situation ? 

Le chef du CNARR a quitté hier pour ses vacances et ce matin son équipe nous bloque la route. Qui a pris cette décision ? Qu’ont-ils à cacher ? On fait chanter et danser des réfugiés, merde !

Il est dangereux de museler des artistes… ils vont toujours trouver une façon de creuser.

Je suis triste. Triste qu’on mette fin à des activités de sensibilisation, de paix et d’espoir pour des raisons politiques et, honnêtement, très louches. Depuis lundi, nous martelons aux participants à nos ateliers qu’ils doivent se présenter à l’heure afin d'en profiter au maximum, et qu’on va les accompagner jusqu’à jeudi puis du 4 au 17 janvier afin de créer quelque chose d’unique. Ce matin nous n’étions pas là. Demain nous n’y serons pas non plus. On ne sait pas si les autorités vont nous laisser revenir en janvier. Comment créer un climat de confiance dans ces conditions ?… Il y avait pourtant un magnifique momentum. 

Taigue craint qu’il y ait de la grogne et peut-être de la casse dans le camp. Si les habitants de Gondjé apprennent que le CNARR leur a enlevé ces ateliers, ils pourraient se révolter, manifester collectivement, et ça peut vite se dégrader — ce qui ne ferait que donner des munitions au CNARR pour dire que notre présence est nuisible. 

Je suis dégoûté. C’est d’une absurdité monstre et d’une injustice odieuse.

On plie bagage, on quitte demain matin, et on espère pour le mieux.

SEMAINES 4 et 5 - Goré : gérer l'imprévu !

12 au 20 décembre 2016

On s'en va... là !


Dans la vie il y a le plan... puis il y a la vraie vie.


Le plan :

lundi 12 décembre
préparation pour le départ, lavage, ménage, bagages, courses, etc. 

mardi 13 décembre
départ à 11h
route de 600km sur des routes parfois difficiles, durée : 8h
Étienne prend des images de la route et du voyage 
arrivée vers 19h-20h à Goré, installation dans nos appartements du UNHCR

mercredi 14 décembre
rencontre des autorités UNHCR/préfet et autres à Goré en AM
PM : visite du camp de Gondjé et rencontre des responsables
présentations, échanges avec les réfugiés (ils nous montrent leurs danses)

jeudi 15 décembre
visite du camp d’Amboko et rencontre des responsables
présentations, échanges avec les réfugiés (ils nous montrent leurs danses)

vendredi 16 décembre
AM : ateliers/formations à Gondjé
PM : ateliers/formations à Amboko

samedi 17 décembre
présentation d’un spectacle à Goré en PM (danseurs de Ndam se na et la création que nous avons présentée au Festival Souar-Souar)

dimanche 18 décembre
repos

… puis on reprend les ateliers du lundi au jeudi et on quitte pour N’Djamena vendredi le 23 décembre. 


La vraie vie :

Cinéma Le Normandie
Lundi 12 décembre
Après les préparatifs, nous sommes allés au cinéma Normandie (seule salle de cinéma au Tchad) voir l’avant-première du film « Wulù  - le chien ». Le réalisateur est Malien et le producteur est Français. Belles rencontres sur place — l’équipe de production et l’acteur principal étaient présents pour répondre aux questions. Nous avons fait la rencontre de David Smith, un Canadien qui habite en Afrique depuis une trentaine d’année. Il met sur pied des postes de radios afin que les communautés de différents pays d’Afrique puissent recevoir les informations et se doter d’un système de communication collectif et accessible. Un monsieur super intéressant que nous tenterons de recroiser puisqu’il sera au Tchad pendant les quatre prochains mois afin d’installer des antennes dans les zones frontalières du Nigéria où Boko Haram fait des ravages (la radio permet aux habitants de s’informer de la présence des membres du groupe armé et donc de sauver des vies). On se couche tôt en vue du départ vers Goré mardi !

Mardi 13 décembre
Pas mal fier de mon Tetris !
Nos bagages sont prêts et à 11h on est tous les trois très fébriles, parés pour le départ ! La voiture doit passer au garage pour inspection et une dernière signature de papiers est nécessaire pour la route. On est censé retrouver les autres membres de l’équipe au Ballet National, alors qu’ils partiront en autocar et que nous quitterons en voiture. Au total, nous sommes 15 personnes qui quitterons N’Djamena vers Goré !

Sur la rouou-te deee Goré... ! (ça c'est le super beau tronçon)
À 14h les papiers de la voiture ne sont pas encore réglés (vive l’administration tchadienne). Petite impatience en se rendant compte qu’on ne pourra pas vraiment faire d’images de la route puisque le soleil se couche à 17h30. À 16h nous quittons N’Djamena… Et nous découvrons ce que ça veut dire « des routes difficiles ». Wow. Il y a une partie de la route qui est bitumée… mais il y a d’immenses dos d’ânes à l’entrée de chaque village et la route est parsemée de trous/crevasses entre les villages. Parfois le bitume fait place à la terre/au sable. Sur 600 km, il y a environ 120 km qui sont en très bon état. Le reste, c’est de la gestion de trous, dans le noir, et on passe de 80 km/h à 10 km/h à des arrêts nets… pendant pratiquement tout le voyage. Résultat : nous arrivons à 4h du matin à Goré ! Les derniers 110 km ont duré près de 2h30 — la route a fait place à un sentier de sable à travers une forêt dense. L’euphorie a fait place à une forme d’apathie silencieuse…  Une partie de mon être a accepté que je passerais l’éternité dans cette voiture, brassé de gauche à droite par les bosses, dans le noir. 

À notre arrivée, Goré étaient endormie. Sans électricité sauf devant les bâtiments du UNHCR. La  personne censée nous accueillir dort depuis longtemps. En attendant qu’elle revienne, Roger nous fait remarquer que l’essence est dans le rouge depuis 70km… et qu’on est chanceux que la voiture ne se soit pas arrêtée alors que nous étions en brousse. Sur cette remarque, la voiture s’éteint. À 4h du matin, nous poussons la voiture afin qu’elle ne soit pas au milieu de la route. 



Notre contact du UNHCR arrive avec une minivan, et nous emmène au « compound » fraîchement construit où nous allons habiter. On s’endort très vite.

Pouuuusse...!

Mercredi 14 décembre
Le compound
On se réveille au compound. Grand espace emmuré où plusieurs ONG ont leurs bâtiments. C’est très beau, on est dans la verdure, et ça contraste fort avec N’Djamena ! Les rendez-vous du matin ont été repoussés à l’après-midi, 13h. On rencontre les représentants du HCR, les représentants du CNARR, les autorités de la ville de Goré. Il est essentiel que tous nous voient, nous serrent la main et revoient les autorisations que nous avons recueillies à N’Djamena pour faire le projet. Jusqu’à 17h nous nous présentons devant beaucoup de gens, et chaque fois l’accueil est chaleureux, le projet est louangé et on nous souhaite la meilleure des chances. Comme personne n’a le droit d’être dans les camps après 17h30, nous remettons notre arrivée dans les camps au lendemain.

Goré est une ville d’environ 80 000 habitants. Aucune route goudronnée, un grand marché central, une atmosphère beaucoup plus sereine qu'à N’Djamena. Les gens sont souriants, la nourriture y est fraîche, moins chère et absolument délicieuse. On est très heureux d’y poser nos valises pour les prochains 10 jours. 

Le camps de Gondjé
Jeudi 15 décembre
Dès 8h30 nous reprenons les rencontres avec les représentants de la préfecture (Monsieur le Préfet lui-même) et d’autres département du HCR. Tout est enfin OK pour que nous puissions aller dans le camp de Gondjé !

On arrive à Gondjé sur l’heure du midi. Je suis très, très excité. Enfin on y est, après trois ans de préparation pour y arriver ! On y rencontre d’abord le président du groupe des danseurs, nommé Masta. Infirme, il nous accueille en chaise roulante, et nous offre chaleureusement de visiter le camp. Les chaises roulantes distribuées dans les camps sont très ingénieuses. Il s’agit d’un siège/chaise monté sur deux roues de bicyclettes, actionnées par une chaîne et des pédales placées au niveau de la poitrine et tournées à bras. L’effet de levier créé par la chaîne permet de se déplacer plus facilement dans le sable. Masta est accompagné de Samuel, ancien président du groupe des danseurs. Samuel me raconte qu’il est Tchadien, que ses parents ont été tués pendant la guerre de 1979 et qu’il s’est sauvé vers la Centrafrique. Il y a fait sa vie, s’est marié, a fait des enfants, est « devenu » Centrafricain. La guerre en Centrafrique au début des années 2000 n’a pas épargné sa famille, et il s’est vu contraint de se réfugier au Tchad, dans ce camp où il habite depuis 2006 puisqu’il n’a plus d’attaches au Tchad.

Nous rencontrons le président du camp, nommé Youssouf. Le camp contient quatre « Zones » divisées en quartiers (chaque zone contient de quatre à huit quartiers). Au total, vingt-quatre quartiers composent le camp de Gondjé. Chaque quartier a un représentant élu, et ces représentants élisent à leur tour les représentants des quatre Zones. Un président représente l’ensemble du camp, qui contient environ 15 000 personnes. 

Nous visitons à pied le camp de Gondjé, et nous rencontrons les habitants. C’est immense. En 2h, nous marchons au travers de seulement deux des quatre zones ! Gondjé est devenu, en quelques années, un véritable village. Il n’y a plus de tentes. Les familles se sont établies et grandissent sans arrêt. Les tentes ont été remplacées par des maisons en boue et par des concessions. Plusieurs fermettes abritent de nombreux animaux. Marchands, fermiers, artisans, travailleurs dans les champs, école, champs de foot… tout y est. Les gens ici se sont organisés, et se sont bien organisés. 

Ça commence...!
En début-PM, nous nous rendons à « l’espace des jeunes » où nous donnerons les ateliers. À notre grand étonnement il n’y a personne. On nous explique qu’aujourd’hui, jeudi, la grande majorité des habitants du camp sont exceptionnellement dans les champs. Hier, les nomades (les Peuls) sont arrivés avec leur bétail et leur présence menace de détruire les récoltes. Il faut donc récolter le mil d’urgence. 

On sort tout de même les tam-tams et le saxophone. Geneviève jamme avec Ngarta et les danseurs de Ndam se na esquissent quelques pas de danse. Les enfants s’attroupent discrètement. Je sors un nez rouge et commence à improviser avec eux. Les danseurs Hervé et Raïm se joignent à moi. Improvisation libre de 30 minutes dans l’espace des jeunes. On s’amuse comme des fous. Les enfants sont de plus en plus nombreux. Ils rient, ils ont peur, ils sont fascinés par ce qu’ils voient et entendent. 

Vers 15h les adultes commencent à arriver. Un cercle se forme progressivement. Les danses sont de plus en plus nombreuses. Finalement un groupe de près de 200 personnes est réuni. Les danseuses du camp nous présentent leurs danses. Les danseurs de Ndam se na dansent également. Le saxophone accompagne quatre tam-tams. C’est la fête, et c’est complètement enivrant ! 

Premiers jeux
Vers 16h30, on se réunit afin de présenter l’équipe et de parler aux réfugiés. 
On apprend que les choses ne sont pas si roses qu’elles ne le semblent. Taigue n’est pas venu depuis 2012 et on lui reproche d’avoir abandonné les danseurs de Gondjé et d’Amboko. Dans le camp d’Amboko, il ne reste plus du tout d’activités de danse. À Gondjé, le groupe d’une cinquantaine de personnes s’est progressivement effrité: ils ne sont maintenant plus que seize et aucun homme ne fait partie du groupe. Des tensions sont nées entre les membres du groupe, leurs demandes au HCR pour des costumes et du matériel ont été systématiquement refusées, et ils ne sont plus appelés pour aller faire des spectacles — ce qui leur permettait une certaine rémunération. La déception est palpable.

Taigue explique qu’il a travaillé avec eux de 2005 à 2012, qu’il a d’autres projets dans d’autres camps, avec d’autres réfugiés, dans d’autres pays, et qu’il ne reçoit pas les moyens nécessaires pour venir à Gondjé tous les ans. D’autre part, il leur explique qu’ils ne doivent pas attendre que les choses arrivent, qu’ils doivent être proactifs et développer eux-même leur travail à partir des outils qu’ils ont reçus pendant plusieurs années. En quelques minutes, Taigue les exhorte à s’organiser, à se réunir, à se redonner eux-mêmes la force nécessaire pour continuer. Il explique que nous serons ici pendant 10 jours, puis du 4 au 17 janvier. Le rendez-vous est donné pour le lendemain de 9h à 12 et de 14h à 17h, en leur disant de réunir tous les anciens participants, dont les hommes, pour profiter des nouveaux outils que notre équipe leur offre. 

En rentrant, nous convenons ensembles qu’il vaut mieux concentrer nos énergies à Gondjé cette semaine et garder Amboko pour notre retour en janvier. 
Enfants de Gondjé


Coupé-décalé avec Hervé ! Toofan !!
Vendredi 16 décembre 
À 9h30 nous faisons l’appel au camp de Gondjé, avec tam-tam et danses. Les gens tardent à arriver. 

Finalement le groupe s’agrandit. En après-midi, c’est plus de trois-cent cinquante personnes qui sont présentes afin de suivre ou de regarder les ateliers. Nous faisons tous les trois environ une heure d’atelier chacun, en guise d’introduction à nos formations en chant, en danse et en théâtre. Plus de 75 personnes suivent les trois ateliers. Beaucoup de jeux, de brises-glace, d’animations, etc. Le momentum semble s’installer. La joie est palpable. 

À 17h30, nous devons quitter alors que les gens du camp nous demandent de rester jusqu’à 18h ou 18h30 (tombée du soleil). Nous leur expliquons que ce n’est pas possible — règlements du HCR. 




Discussions avec les participants


Samedi 17 décembre
Le samedi, deux danseurs sont blessés et le spectacle est remis au mercredi soir. Nous en profitons pour faire une réunion afin de planifier la suite des activités. Une grande partie de la journée y passe — c’était nécessaire. 

L’équipe de tournage explique les besoins, les envies et ce dont ils auront besoin de notre part d’ici notre départ jeudi : entrevues de fond, impressions à chaud pendant la journée, prises de rendez-vous afin d’interviewer les autorités responsables… la liste est longue. 

De notre côté, nous devons faire un choix radical : abandonner les activités à Amboko pour se concentrer sur le momentum grandissant de Gondjé, en décembre comme en janvier. Nous informerons les gens d’Amboko qu’ils sont invités à se rendre à pied aux activités de Gondjé. Diviser nos efforts sur deux camps nous semble futile et ne fera que diluer notre travail ainsi que la confiance que nous souhaitons rebâtir avec les gens de Gondjé. 

Le groupe de 75 personnes d’âges variés pose aussi problème. En effet, nous constatons que le chant et le théâtre s’enseignent difficilement à un groupe aussi grand, à l’extérieur, entouré d’un public très participatif. L’écoute et la concentration sont très difficiles. Pour la danse, qui s’enseigne en rangs, avec musique forte et mouvements répétitifs, ce n’est pas un problème… mais ce n’est pas la même dynamique. Nous allons donc revoir le format d’ateliers :

9h-9h30 : Appel aux tam-tams
9h30-11h : Chant avec groupe réduit (le matin il y a moins de gens), à l’intérieur du petit bâtiment construit sur la place des jeunes. 
11h-12h30 : Théâtre (avec un groupe de 30 personnes — nous allons créer une liste)
12h30-14h30 : Dîner — les gens doivent marcher jusqu’à la maison, s’occuper des enfants, etc.
14h30-15h : Appel aux tam-tams
15h-16h30 : Danse (avec le grand groupe)
16h30-17h : Discussion puis départ.

Marché de Goré
Miam...!


En fin d’après-midi nous visitons le marché de Goré et nous achetons tout pour faire à manger : charbonniers, charbon, un kit de chaudrons et de couverts, et plein de nourriture fraîche. Je suis enchanté ! L’équipe de tournage en profite pour faire du repérage en vue de la prise d’images au marché de Goré.

Renaud s’avère être un grand foodie et c’est un bonheur de faire le marché avec lui (d’ailleurs il nous garde à distance afin de pouvoir négocier sans qu’on lui demande un prix de Nasara). 


Le soir : sardines frites (c’est comme des éperlans) et patates frites en entrée, suivis d’un mijoté d’agneau… on se régale !






Dimanche 18 décembre
Congé.
Geneviève et Ngarta en profitent pour se mettre à jour. Ils se partagent leurs expériences: Geneviève montre à Ngarta le travail que nous avons fait au festival Souar-Souar et nous convenons que nous répéterons ensemble les 28-29-30 décembre afin de revoir le travail maintenant que Frédéric est remplacé par Ngarta. 

Lundi 19 décembre et mardi 20 décembre
On installe notre nouveau modèle. Ça se passe de mieux en mieux. Ça semble fonctionner. On a de plus en plus de gens qui assistent aux ateliers et la division du groupe rend les formations beaucoup plus efficaces et constructives. 

Ngarta et Geneviève font ensemble les jams d’appel (à 9h et à 14h30) avec les percussionnistes formés par Ngarta. Ngarta appuie également Geneviève pour les ateliers de chant et ils se découvrent une complicité grandissante. 

Rires et poussière 
Mes ateliers prennent forme. Je dois adapter complètement ma pédagogie à ces gens qui n’ont pas les mêmes références que nous quand on parle de théâtre. Je dois revenir aux bases et accompagner le travail de recherche. Je dois expliquer et montrer plus qu’à l’habitude, et trouver une façon d’arriver à un résultat concret à la fin de chaque période de formation. C’est un beau défi…! Le groupe est composé de personnes super talentueuses. Nous explorons les bases de la création de personnages et de l’interprétation des grandes émotions. C’est super intéressant et motivant de les voir aller.

Le travail dans la poussière, en plein soleil, en action constante, est très difficile sur le corps. Nous sommes exténués le soir, et je sens que la gorge s’irrite de plus en plus. Le soir nous sommes couverts de poussière et nous mouchons noir… le silence dans la voiture sur la route du retour est éloquent. 

À cela s’ajoute une certaine fatigue psychologique. Les premiers jours, je ne voulais voir que les moments de bonheur, de rires, de surprises. Aussi, les couleurs vibrantes des habits, la grande dignité des gens qui sont là et l’énergie monstre qu’ils mettent dans le travail artistique. Plus ça avance et plus je remarque le grand contraste entre la vie qui se dégage des ateliers et la réalité du camps : beaucoup d’enfants habillés en lambeaux, une forte odeur entourant beaucoup de villageois, certains participants qui arrivent saouls aux ateliers à 10h du matin, l’enfant infirme qui se traîne tous les jours sur plusieurs centaines de mètres pour venir voir les ateliers. Lorsque nous terminons une bouteille d’eau, nous sommes soudainement entourés d’un groupe de tout-petits guettant le moment où nous allons la déposer par terre… c’est alors qu’ils se ruent pour la ramasser. Les bouteilles vides sont très utiles ici. Le camp de Gondjé se révèle être un condensé de résilience et de pauvreté, d'espoirs et de souffrance. Les deux se côtoient et évoluent ensembles. En même temps, je pourrais dire la même chose pour le monde entier, non ? 

Lorsque nous quittons, une marée d’enfants accompagne le véhicule. Ils rient, ils crient, ils s’accrochent à la voiture, tombent à la renverse. C’est à la fois très beau et parfois troublant. 

On s’habitue à la vie à Goré. Le soir on se fait à manger en faisant les retours sur les ateliers de la journée. Il y a un rythme ici qui est beaucoup plus lent que celui de N’Djamena. On se sent en campagne au creux de notre forêt de manguiers et c’est très agréable. 

Scène de vie à Goré