lundi 2 janvier 2017

2017 - Un deuxième accueil !

1er et 2 janvier 2017

D'abord, rassurez-vous : Geneviève va beaucoup mieux !! Voilà. 

C’est étrange : les deux derniers jours donnent l’impression du début d’un nouveau séjour. Deux rencontres « officielles » avec des gens du milieu artistique n’djmanenois étaient prévues pour ces deux journées. Ces deux rencontres, filmées par Cyril et Renaud, font partie d’une série d’entretiens servant à découvrir et échanger avec le milieu culturel, ses réalités, ses défis, ses visions. 

1er janvier - Djafat Pricolossou
Djafat portant Tartaglia "l'avocat" !
Djafat c’est le clown tchadien. Il y en a un — c’est lui. Il a découvert le mime et le clown dans le cadre d’un atelier de formation (au Burkina Faso si je me souviens bien). Il a été profondément touché par la valeur humaine de ce mode d’expression. Depuis, il a décidé de développer le clown au Tchad — quel défi ! On s’était déjà rencontrés en 2013 et on avait eu de belles discussions au sujet du clown ici, de la façon de l’aborder, de la signification du nez rouge pour un peuple dont le nez ne devient jamais rouge, du masque, du rire, de la fonction du rire, etc. Cette rencontre-ci nous a permis de renouer, de revenir sur ces discussions, d’approfondir la réflexion, de partager sur la pédagogie, de discuter de l’art et de l’artiste. C’était fascinant. Pour Djafat, l’art, le clown, le théâtre sont des façons d’ouvrir les coeurs, de briser les frontières, de prôner la cohabitation pacifique, de dénoncer la violence. Il est porteur d’une grande richesse et d’une mission de partage — tout cela sans prétention. Ça me fait beaucoup réfléchir sur la façon selon laquelle nous abordons l’art chez nous. Nous prenons beaucoup de choses pour acquis, et nous oublions que l’art pour l’art relève du luxe. L’acte artistique est foncièrement politique, quel qu’il soit… 

Bref, je ne résumerai pas toute la discussion — vous verrez le documentaire !

Après ce long et fascinant entretien, Djafat a entrepris de nous intégrer à notre quartier. Quelle belle aventure ! Jusqu’à maintenant nous n’avions pas eu le temps de rencontrer les gens. Nous quittions tôt le matin, revenions tard le soir, et les seuls jours de repos que nous avons eus nous étions malades…! Bien sûr nous avons pris l’habitude de saluer les voisins et les gens que nous croisons mais ça restait timide. 

Amitiés dans le quartier
En quelques heures avec Djafat, nous avons rencontré la majorité de nos voisins du quartier et nous nous sentons soudainement des membres à part entière de la communauté. C’est complètement fou ! D’abord, tout juste au coin de la rue il y a une dame qui fait le « kochette », une boisson traditionnelle faite de riz fermenté, servie dans une calebasse. Je n’aurais jamais su si Djafat ne m’avait pas montré. Il m’a offert une calebasse. C’est un (très) gros bol, vendu 50 FCFA (10 sous) comme ça, en pleine rue. D’abord hésitant devant le liquide laiteux, j’ai tout de même accepté l’offre. Eh ben…! À peine avais-je pris deux gorgées que les gens ont commencé à s’attrouper. « Le Blanc qui boit kochette ??! Non!! Ouahhh ! Salut ! », « Tu bois ça ??! BIENVENUE !!! », « Le nasara qui kochette !! Tu as la nationalité tchadienne maintenant !! ». 

En trente minutes, au moins une vingtaine de personnes se sont arrêtées, m’ont serré la main, m’ont accueilli. On a rencontré des musiciens, un artiste visuel, plein de gens saouls aussi (oui parce que cette boisson elle tape !! surtout en plein soleil !! et les gens en boivent au moins 4-5 calebasses). Les gens étaient fiers de me voir participer à la tradition. La dame qui fait le produit m’a fièrement expliqué comment elle procédait et m’a invité à venir y assister la prochaine fois qu’elle va brasser (la semaine prochaine). On m’en a offert encore et encore — et encore et encore. « Allez ! On mélange ! » (c’est ce qu’on dit ici) J’ai dû insister fort pour n’en prendre qu’une, prétextant que je devais d’abord voir si mon ventre tient cette boisson. Les gens étaient insultés que je refuse l’invitation. J’ai tourné ça à la blague en disant que j’avais encore du travail et que je ne pouvais pas rentrer au boulot en rampant ! Dans tous les cas, il y a tout un groupe de gens qui m’attend pour le prochain kochette !

Brin de folie chez "Tantine femme gentille"
Ensuite, un peu titubant (c’est fort ce truc) nous avons visité le studio d’un musicien/sonorisateur surnommé Amidal et installé à quelques pas de chez nous. On aurait jamais cru qu’il y avait un studio là ! Ensuite, petite bouchée au café au coin de la rue :  « Chez Tantine femme gentille » ! Ça n’a vraiment l’air de rien à l’extérieur, mais que d’ambiance une fois sous les tentures. Les clients, les enfants, la grosse tenancière Odette assise parmi tout ce monde. Là encore, les gens étaient excessivement fiers de nous voir là. Tout le monde est venu nous parler, et tout le monde sans exception nous a dit qu’on était du quartier maintenant, qu’on avait rien à craindre, qu’ils étaient derrière nous en toute circonstance. Comme quoi la méfiance entraîne la méfiance, et l’ouverture entraîne une fraternité sans pareille. Quel après-midi ! 

Depuis notre arrivée, on nous a dit à répétition que le Tchad est un pays communautaire, où les gens se tiennent serrés. Je comprends beaucoup mieux. Les quartiers sont de petits villages où tout le monde se connaît, se soutien et s’entraide. Depuis cette escapade, les gens ne nous regardent plus de la même façon, les sourires sont francs, les salutations sont systématiques. C’est très touchant de vivre ça. On se sent chez nous…



2 janvier - Vangdar Ismael Dorsouma
Lieu de partage
Aujourd’hui, nous rencontrions Vangdar, un doyen du milieu artistique n’djamenois, qui se bat corps et âme pour la survie des arts et de la culture dans son pays. Je l’avais aussi rencontré en 2013. Il dirige depuis 1989 l’Association Themacult, une des rares compagnies de théâtre d’ici. C’est un monsieur souriant, un bon vivant rayonnant de chaleur humaine, qui connaît son milieu et les problématiques qui le caractérisent, qui est à la fois profondément lucide et très, très inspirant.  

Il nous a accueillis dans son lieu de travail, un espace qui existe depuis maintenant quatorze ans et qui reçoit spectacles, formations et festivals. On sent la grande passion et le profond dévouement qui ont été nécessaires et qui sont toujours essentiels à la mise sur pied et à l’entretien de cet espace de création et d’échanges. Vangdar a permis de faire naître toute une génération d’artistes, dont plusieurs très talentueux ont quitté le milieu faute de moyens de subsistance. Il ne baisse pas les bras et il est un réel moteur et porteur d’espoir dans une société où les arts et la culture ne sont aucunement valorisés par le gouvernement en place.







Échanges et bonne bouffe...!

Suite à l’entretien et à la visite de son lieu, Vangdar nous a chaleureusement accueillis chez lui pour un véritable festin de ragoût de mouton et de « marara » (abats de mouton). On s’est régalés. Je ne le répèterai jamais assez : on mange tellement, tellement bien au Tchad. 

La discussion s’est poursuivie dans la cour chez Vangdar, avec les poules qui couraient partout et le chien Obama (hihi !) qui faisait le guet. Quel bel accueil. 

Nous en avons profité pour planifier un atelier de jeu masqué et de chant que nous donnerons aux comédiens de Vangdar à notre retour de Goré, le 20 novembre (à la veille de notre retour au Canada). L’échange se poursuit !

Devant la murale  (Cyril, Vangdar, Geneviève, Mathieu, Abakar)



Cette année, 9e édition du Festival FIADPUP organisé par Thémacult



Nouvel An - Renouveau !

31 décembre 2016

Veille du jour de l’an plutôt tranquille en journée, alors que Geneviève se remettait toujours de son tord-boyaux. Nous avons sorti les remèdes de grand-mère: vinaigre de cidre de pommes, riz blanc, soupe poulet et nouilles maison. Nous pouvons confirmer que ça fonctionne beaucoup mieux que le cocktail immodium-senokot-gravol-diovol-gaviscon essayé en alternance ces derniers jours…!

Remèdes de mère-grand aidant, la soirée du 31 fut un peu plus animée. Nous nous sommes rendus, avec Taigue et Sarah, au bar « 5 kilos ». Cinq kilos de quoi ?… je ne sais pas trop ! Mais c’est un endroit vraiment sympathique avec de grands arbres au-dessus de la piste de danse et tout plein de musique africaine nostalgique des années 1980-1990. Un band live jouait et animait la galerie à partir de 23h30. Les amis sont venus nous rejoindre progressivement, et nous avons dansé le passage de l’année tous ensemble. Le jour de l’an est LA grande fête ici. Noël ce n’est rien…! En fait, ce n’est que chrétien, alors que le Nouvel An n’a pas de frontières idéologiques, religieuses ou autres. Je n’ai jamais vu N’Djamena aussi animée. 

C’était impressionnant et, très honnêtement, un peu épeurant ! 

Oh ! Pas le bar, comprenez-moi bien ! L’ambiance au « 5 kilos » était endiablée, on a intégré les deux Blancs aux célébrations et à la danse à coups d’accolades chaleureuses et de cette salutation typique du Tchad : tempe contre tempe et front contre front — c’est un contact d’une grande chaleur et un échange empreint d’humilité et de grande vérité. Lorsqu’on nous salue de cette façon on se sent accueilli, inclus, bienvenu. C’est très touchant, en fait.

« On est ensemble ! », « bonne année mes frères ! », « venez danser avec nous !! » 

Non, ce n’est pas ça qui fait peur…! Ce qui fait peur, c’est le chemin du retour. Nous ne sommes pas rentrés tard (il devait être 1h), mais les rues étaient bondées de monde, de voitures, de motos qui vont dans tous les sens. C’est la folie !! Je n’ai jamais vu ça : les motos sans phares portant 2,3,4 personnes qui passent devant, derrière, sur le côté, presque par-dessus notre voiture ; les 4x4 qui foncent dans les groupes de fêtards titubants entassés au milieu des routes en risquant d’en écraser une dizaine en cours de manoeuvre; les gens costumés qui dansent et chantent dans les rues ; et à travers tout ça la police, les mitraillettes, les gens de la croix-rouge qui sont aux ronds-points pour assurer une semi-sécurité. Le bilan : 120 morts pour cause d’accidents pendant les nuits du 31 et du 1er ! Et ce n’est pas un chiffre exorbitant — c’est normal ! On murmure à mi-voix : « ça c’est ceux qu’on a comptés hein… »

Wow !…

Nous nous sommes endormis au son des multiples musiques qui montaient des bars et des concessions du quartier et se mélangeaient dans un chaos sonore incompréhensible et joyeusement festif. 

Les gens semblent contents de laisser 2016 derrière, avec ses morts, ses élections, ses mesures d’austérité, ses tensions… Vivement le vent frais du renouveau. Il n’y avait pas la poussière ou le brouillard habituels en cette veille du Jour de l’An : c’est bon signe, non ?