lundi 5 décembre 2016

SEMAINE 2 - En création !

Semaine du 28 novembre au 2 décembre

Sur la scène de l'IFT
Création - se chercher…!
Quelle semaine ! Puisque plusieurs compagnies sont en préparation pour le festival et que les espaces sont limités, notre horaire de répétition cette semaine est fixé de 15h à 20h tous les jours. Cela nous permet d’utiliser les avant-midis pour faire les courses, régler les détails administratifs, offrir des ateliers, poursuivre les rencontres avec les artistes locaux, etc. 

Au centre Al Mouna
Les deux premiers jours de création ont été dédiés à de longues discussions au sujet du projet, de la direction qu’il prend, de la façon dont nous allons négocier création et documentaire, etc. On doit d’abord se positionner quant au travail de création effectué à Caraquet (2014) et à Moncton (2015). À l’époque, on se concentrait sur notre rencontre. Ces premières esquisses de création ont permis de se découvrir dans le travail, mais ce ne sont que des premiers jets d’idées. Notre thème jusqu’ici était « La rencontre » — notre rencontre. C’était donc assez personnel, et on se basait sur le « choc initial » vécu par l’un et par l’autre lors de nos arrivées dans la culture de l’autre. Assis à N’Djamena, on se sent bien loin de tout ça… et nous cherchons à actualiser notre propos, tout en se questionnant sur le public qui recevra cette prochaine étape de travail. 

Surtout, nous avons discuté de la situation sociale, politique et culturelle au Tchad. Il y a beaucoup à dire, et on a beaucoup de questions parce qu’on veut bien comprendre la réalité ici. Les sujets sont nombreux, on s’y perd un peu, mais on est arrivé à circonscrire une thématique centrale : « Les jeux du pouvoir ». Beaucoup de discussions tournent autour de ça, que ce soit les rapports entre l’Occident et l’Afrique, les « zones rouges », la guerre, les dictatures, l’hypocrisie ambiante…

Explorer les jeux du pouvoir, c’est s’attaquer de façon ludique à des sujets chargés. Parce que tout ça c’est un jeu — le problème c’est que les gens crèvent pour vrai dans le grand jeu du Monde.

Découvertes...

Les jours qui ont suivis ont été marqués par la recherche mais, surtout, par l’adaptation aux méthodes de travail de tout un chacun. Geneviève et Frédéric, tous deux issus d’univers musicaux complètement différents, ont dû revenir aux bases de chacun de leur système afin de commencer à trouver un langage commun. Taigue et moi trouvons doucement comment concilier nos deux modes de création (la construction dramatique et le développement du mouvement) et, à partir de nos expériences des années passées, continuons aussi à nous forger un langage commun. 

Première semaine de création déstabilisante et enivrante à la fois. On se cherche, on se trouve, on se trouve, on se cherche…! Ça se construit doucement - nous jouons le 9 décembre ! 



Ateliers
Nous donnions mardi matin un atelier à un groupe d'alcooliques en réhabilitation. Dans le cadre de ses activités dans les différents quartiers de la ville, Taigue offre des ateliers de danse et engage une comédienne, Léonie Youmba, pour donner des ateliers de théâtre. Cette semaine, c'est nous qui donnions l'atelier de chant et de théâtre. C'est une belle expérience pour nous, car ces gens n'ont aucune formation artistique et se rapprochent un peu plus du public que nous rencontrerons dans les camps de réfugiés. Ils ont embarqué à fond, à notre grand bonheur ! 

Le studio-maison de DJ Gen...!

Anecdotes — parce qu’il en faut bien quelques unes !
Les trois canadiens, bien installés dans leurs petits appartements du quartier « Paris-Congo », comprennent de mieux en mieux le fonctionnement de la ville. On se fait à manger à partir des produits locaux, on mange beaucoup de piment et souvent on mange avec les mains même à la maison ! Nous avons appris qu’il faut dire bonjour à tout le monde du quartier et du voisinage. Nous avons aussi découvert que tout le quartier sait qu’on est là et ce que nous faisons. La communauté est tissée serrée dans cette ville de 1,9 millions d’habitants ! Mine de rien nous commençons à sortir par nous-mêmes dans les rues environnantes. Étienne se fait appeler « le cameraman » par de purs inconnus alors qu’il n’a jamais sorti son objectif dans le quartier !

Nous avons aussi découvert le Grand Marché de N’Djamena, où nous passons maintenant aux deux jours. C’est le Marché-Jean-Talon-on-speed. La folie. Les étalages sont à même le sol, et on entend qu’un grand cri généralisé à travers lequel on perçoit vaguement « 500-500 francs », « ici pas cher », « fèves ?… 250 », « un sac ? un sac ? un sac ? » (oui parce que les marchands n’ont pas de sacs… ceux-ci sont vendus à la pièce par de jeunes gens très insistants, qui mettent parfois les légumes dans le sac avant même que tu ne les aies achetés !). 

On a pas de photos pour le prouver, mais on a vu UN HIPPOPOTAME ! Devant nous, juste l’autre bord du fleuve à peine 50 mètres plus loin ! C’est gros, un hippopotame. Et il faut voir les pêcheurs déguerpir lorsqu’il sort de l’eau. 

Rencontres
Nous sommes allés au consulat du Canada avec notre ami Samafou, qui nous a ensuite invité à manger à quelques pas de là. Discussion passionnante sur le métier d’écrivain dans un pays où le taux d’analphabétisation est supérieur à 85%. 

Samafou


Le "Djamdjafa"

J’avais parlé la semaine dernière de l’envie grandissant de Geneviève d’organiser un jam avec des musiciens locaux. Le souhait s’est réalisé dimanche, alors que nous sommes retournés à Mandjafa (vous vous rappelez ? le paradis sur terre…). Il fallait nous voir tenter d’expliquer le concept du jam à Taigue, Cyril et Frédéric. « Alors, vous pouvez me résumer encore une fois c’est quoi le djems ? » Grand soulagement : les musiciens, une fois sur place, savaient tous ce que c’était un jam. Faut juste pas demander aux danseurs et aux cinéastes… Bref, le djems en question s’est déroulé et à donné lieu à de nombreux moments magiques sous le soleil ardent du Tchad, avec Aimé, Mélonie, Rahim, Frédéric, Geneviève et tout plein d’amis ! Nous avons appelé l’évènement « le Djamdjafa » ! Ce n’est pas le dernier…








Jour 7 - Repos à Mandjafa

Dimanche 27 novembre 2016

En brousse !
Amour...







Aujourd’hui c’est jour de repos à Mandjafa, en brousse. Mandjafa est située à quelques kilomètres à l’extérieur de N’Djamena. Un ami de Taigue y a installé un petit coin de paradis bordant le fleuve. Plusieurs amis se sont joints à nous, nous avons joué su Scrabble, fait la sieste sur les nattes, mangé du mouton grillé ramassé au village d’à côté et… nous avons rencontré un caméléon !! On l’a appelé Léon, a.k.a Charlie (mais où est-il ?). Geneviève est tombée en amour. 




En route vers Mandjafa, nous avons croisé des chameaux...

...puis quelques minutes plus tard un bouc à moto !



J’ai également fait la rencontre de Youssouf, un acteur de cinéma de renom, qui a un parcours de vie tout à fait fascinant et qui est un grand pince-sans-rire. Grands moments de discussions , assis au bord du fleuve devant un paysage orangé, sur notre rapport perdu à la nature, sur ses expériences dans le désert, sur les nomades qu’il a suivis pendant près de cinq ans, sur les us et coutumes de divers tribus d’ici qu'il a côtoyées, sur la vie… 

Alors que le soleil se couche derrière les arbres épars de ce paysage semi-désertique et que les marabouts et les hérons retrouvent l’arbre sur lequel ils reviennent chaque soir, alors que les pêcheurs en pirogues regagnent la terre ferme, alors que la Lune vient doucement reprendre ses droits, je me rappelle que nous sommes ici depuis une semaine — une seule semaine. J’ai l’impression d’avoir vécu plusieurs mois. Je me sens privilégié de vivre cette aventure intense et si précieuse, entouré de gens que j’aime, et de rencontrer une foule de personnes aux parcours si inspirants. 



Nous les oublions tant ils sont discrets... mais les caméramans sont  toujours là !



PS - La semaine prochaine, je ne ferai qu’une seule entrée de blog, plus brève et plus synthétique. Je poursuivrai ainsi de façon hebdomadaire puisqu’il est impossible de tenir un blog journalier et de le mettre en ligne quotidiennement. D’une part la connexion internet est trop aléatoire et c’est frustrant pour rien ! D’autre part, les journées sont très chargées et nous entrons en création intensive. 

Jour 6 - Cohabitation

Samedi 26 novembre 2016
(aujourd'hui, pensée pour ma maman qui nous quittait il y a six ans et qui a tant participé à mon envie de découvrir le monde, ses couleurs, ses saveurs, ses gens...)

Panel

En ce samedi de repos, nous assistions à la conférence organisée par Soeur Aida (j’en parlais en début de semaine), appelée « État des lieux de la cohabitation pacifique au Tchad ». De 9h à 12h, nous avons assisté à un débat entre l’Archevêque de N’Djamena, le 2ème Imam de la Grande Mosquée, le Pasteur Souina Potifar et le professeur-politicologue Ahmat Mahamat Hassan. 

Réflexions importantes
La salle était pleine à craquer pour cet évènement à la fois très chargé et absolument magnifique. Les interventions du professeur Ahmat Mahamat Hassan (vous savez ce genre de prof qui vous donne le goût de retourner à l'université ?) étaient d’une grande justesse et sont venues secouer un peu les discours officiels des religieux qui prônent tous la bonne entente, qui assistent aux cérémonies des autres et qui martèlent leur message de paix et de bonté. 

J’en ai appris énormément sur l’histoire du Tchad, pays laïque où les tensions restent palpables entre chrétiens et musulmans, bien que la forme de cohabitation qui existe ici fait l’envie de bien des pays d’Afrique. Ce qui marque, c’est la façon dont la politique, depuis très longtemps (et dans plusieurs régions du monde), s’est appropriée, a exploité et a instrumentalisé les religions afin de garantir et de maintenir ses intérêts. En installant et en encourageant un état de méfiance dans une société où l’injustice et la frustration règnent, les gouvernements alimentent les conflits ethniques et religieux et en tirent profit. 

Réflexion intéressante : la différence entre le débat, où celui qui sait parler gagne, et le dialogue, où les deux parties ont à coeur l’intérêt commun. 

Me-noume
Carpe et diem
Je l’ai dit souvent : on mange bien à N’Djamena. Notre plat favori à date (voté à l’unanimité) est la carpe braisée que nous avons mangée au restaurant appelé « l’ancien Rolland-Garos ». Un pur délice — tendre, juteuse, épicée à point, avec ce goût typique du charbon de bois. En mangeant notre carpe goulument, nous remarquons soudainement que nous sommes sollicités par des marchants ambulants qui passent toutes les tables de toutes les terrasses. C'est un vrai centre d'achats sur pattes. Se succèdent chaussures, chaussettes, chemises, cigarettes, arachides, gomme, ceintures, bobettes… puis nous remarquons que ça devient de plus en plus absurde : cordonnier ambulant ? poison à rat ? plateau de rôtis de boeuf crus ? machettes ? Non ?  tuyaux de pvc ? chaines ? lacets, pancarte « cédez » et, le top du top, un sapin de Noël en plastique (au Tchad ! un sapin… au Tchad !… un-sa-pin !). Beau moment d’incrédulité. On aurait bien pris une photo, mais les gens n'aiment pas beaucoup se faire poser ici.


Hiphop battle
Ce soir à l’IFT, nous assistions à la toute première « hip hop danse battle » de l’année, organisée par le danseur Rodrigue (un des « cinq grands »). J’en avais vu une en 2013, et je reste marqué par la beauté de ces combats symboliques. En effet, ces groupes de jeunes, d’ethnies et de religions différentes, dansent ensemble et se confrontent dans un climat tout à fait pacifique. C’est très touchant de voir la force avec laquelle ils défendent leur travail, et de penser qu’il y a là beaucoup de violence canalisée de façon constructive et sortie des rues. Belle conclusion au débat d’idées du matin.

Jour 5 - C'est vendredi... déjà ?!

Vendredi 25 novembre 2016

Prévoir le temps
L'IFT de l'extérieur
Il y a un truc que l’on apprend lorsqu’on travaille dans les locaux de l’Institut Français du Tchad : il faut toujours prévoir arriver au minimum trente à quarante-cinq minutes avant l’heure prévue pour le boulot. En effet, en route vers la salle de répétition on doit passer par la cour centrale — où se trouve le café de l’IFT. On y fait à coup sur des rencontres fortuites et impromptues d’amis et de collègues avec qui on discute et qui nous présentent invariablement une personne magnifique que l’on ne connaissait pas. Ce matin, ladite personne s’appelait Samafou Diguilou Bondong, poète et romancier tchadien, entre autre fondateur d’un festival de poésie et de musique à N’Djamena. Sorte de Dany Laferrière du Tchad, cet homme au regard franc, au sourire contagieux et à la voix envoutante nous a entre autre dit qu’il était bien ami avec madame la consul du Canada. Comme nous souhaitions rendre visite au consulat afin de nous présenter et de nous enregistrer, Samafou nous a proposé d’organiser la visite et de nous présenter. On a tous très hâte de parler plus longuement avec ce monsieur. À voir quand on arrivera à insérer le tout dans le calendrier ! Nous avons également fait la rencontre de Ngarta, le maître-percussionniste qui a accompagné Taigue dès ses premières tentatives dans les camps de réfugiés en 2006. Est en train de germer doucement, dans la tête de Geneviève, l’idée d’un jam avec les musiciens locaux.

Dernier jour d'ateliers
Autre réalisation aujourd’hui. En revenant sur les ateliers d’hier, Taigue m’a posé la question si un des jeux que j’ai fait hier n’étais pas trop complexe. Il s’agit d’un jeu brise-glace assez classique où, en cercle, on se passe un ballon imaginaire, puis plusieurs ballons imaginaires de couleurs différentes. La discussion qui a suivi m’a fait comprendre certaines choses sur le rapport des tchadiens à la performance. Comme avec la bulle l’autre jour, je constate qu’ils veulent bien faire… presque trop bien faire. Ainsi, alors que cet exercice est censé unir les participants par une activité qui pose un défi, ici les participants s’accusent l’un l’autre d’avoir laissé tomber le ballon imaginaire ou de ne pas l’avoir vu ou de lui avoir fait changer de couleur. J’ai dû expliquer au groupe, à plusieurs reprises, que c’est un exercice d’équipe et que tous ont la responsabilité du bon déroulement du jeu. Cet exercice d’éveil devient tout à coup un exercice sur le vivre-ensemble, la tolérance, l’entraide… Et il semble que la « compétition coopérative » demandée pour ce genre d’activité (et pour la création théâtrale telle que je la conçois) soit quelque chose à développer.
Mini-poussez-tirez !

Nous sommes également revenus sur les ateliers de Geneviève, qui s’attardaient hier au réchauffement vocal et aux percussions corporelles. Succès monstre ! Ils veulent chanter mais n’ont accès à aucune formation en ce sens. Les yeux pétillaient, les sourires étaient francs, et ils en redemandent !

Les ateliers d’aujourd’hui se sont déroulés à merveille. Ils ont improvisé, ils ont chanté, ils se sont lancé à fond dans les exercices — c’était super. De part et d’autre, on est un peu triste que ce soit déjà terminé. Les danseurs de Taigue nous ont donné d’autres conseils quant au travail dans les camps de réfugiés, mais nous assurent que ça va bien fonctionner et qu’ils vont s’éclater. C’est fort encourageant !





« Ndjamvi »
C’est le nom du festival de musique qui a commencé mercredi et qui se terminait ce soir. Nous avons vu le spectacle de N2A Téguil, qui mélange hiphop, pop et traditionnel. C’était super. Le gars a une présence remarquable et est entouré de très bons musiciens. Geneviève et Étienne assistaient à leur premier concert tchadien. Il faut savoir qu’ici, peu importe le style de musique, le public participe fort de la salle mais vient également sur scène danser avec les musiciens en guise de reconnaissance. La tradition du « farotage » est également très, très forte. À tout moment, un membre du public se lève, monte sur la scène et vient coller de l’argent sur le front du chanteur ou du danseur. C’est une sorte d’encan : la prochaine personne met un peu plus, et ainsi de suite. Il s’agit en fait de la majeure partie du cachet des artistes ici. La reconnaissance directe du public, en argent comptant… dans ta face ! Une quantité impressionnante de billets ont été jetés sur N2A Téguil ce soir. Il fallait voir les yeux écarquillés de Geneviève et d’Étienne. Difficile pour nous de ne pas faire le parallèle avec les « danses à dix » de chez nous. Comme quoi tout est une question de contexte…!
Le village du festival (souvenirs de 2013...)

Nous avons terminé la soirée dans le village du festival, au Ballet National (le même endroit où j’ai fait la rencontre du public tchadien il y a trois ans — ô souvenirs !). Nous y étions avec About, le directeur de l’IFT, et tout le gratin cinématographique de N’Djamena. Étienne était dans son élément, alors que Cyril se chargeait des présentations ! Nous avons entre autre fait la rencontre d’un couple de cinéastes vraiment super : Serge et Ache Coelo. Tous deux sont cinéastes de renom et leurs films font les grands festivals. Serge est directeur du « Normandie », seule salle de cinéma au Tchad qu’il peine à remplir de gens (sauf lorsqu’il y présente les matchs de football). Ache, seule femme qui réalise du cinéma de fiction au Tchad, vient tout juste de laisser un poste important à l’UNICEF pour se consacrer uniquement à son art. Ces gens se battent fort pour faire connaître le cinéma au Tchad et pour faire rayonner le cinéma tchadien à l’étranger. Grands défis en pleine période de « vache maigre ».

Sur une note plus cocasse : l’équipe a fait la découverte des toilettes du Ballet National. La réaction de Geneviève résume bien l’impression générale : «  ah mon djeu… AH, mon Djeu… AH MON DJEU !!! »


Bonne nuit !