jeudi 26 janvier 2017

Retour à Gondjé (10-18 janvier)

Enfin prêts...!
Retour à Gondjé
Dès le lendemain matin nous étions dans le camp. Notre équipe : Taigue, Ngarta, Geneviève, Cyril, Foxia (en remplacement de Renaud, indisponible pour raisons familiales), Hervé (un des danseurs de Taigue, venu pour l’assister) et moi. Du 11 au 19 janvier nous avons repris les formations de façon intensive afin d’arriver à monter avec les participant.e.s un spectacle reflétant le travail accompli (ce qu’ils appellent, comme en Europe, une « restitution ») à être présenté le mercredi 18 janvier en après-midi. On avait du pain sur la planche (ou de la boule dans la gamelle, ça dépend !). Les objectifs de ces derniers jours étaient nombreux : poursuivre la formation, créer un spectacle avec les participant.es, assurer une autonomisation artistique et logistique afin qu’ils puissent continuer à travailler après notre départ. En plus, nous devions, pour le documentaire, faire des entrevues avec certains réfugiés, ce qui n’avait pas pu être accompli lors de notre séjour en décembre. 


Entre Goré et Gondjé



Le premier matin, sur la route entre Goré et Gondjé, l’excitation était palpable. J’étais tellement content de pouvoir, enfin, me remettre à la tâche. En même temps, une certaine appréhension nous habitait tous : nous sommes partis si brusquement en décembre, sans explication et sans conclusion… comment vont-ils nous accueillir ? Comment allons-nous leur expliquer ? « Brièvement et efficacement, nous dit Taigue, on ne va pas insister là-dessus et on va se concentrer sur le spectacle du mercredi. »

Il faut dire qu’ils ont appelé Taigue tous les jours depuis le 21 décembre pour savoir ce qui se passait… 

À notre arrivée dans l’espace de travail, personne. Rien. Vide. Seul Masta, le président du groupe des danseurs, était là. Il a fallu tout recommencer, lui dire d’aller chercher les autres, de désigner les gens pour récupérer les tam-tams, pour commencer l’appel, pour préparer et balayer l’espace, pour arroser le sol, etc. 

« Tout est toujours à recommencer, c’est normal… » de nous dire Taigue. 
Ce matin-là, les ateliers ont commencé à 10h50 au lieu de 9h30…








Les formations
En ateliers
Quelle montagne russe émotive… Nous avions au total cinq jours avec eux, avant le 18 janvier (jour de restitution). Cinq jours pour revoir ce qu’on avait fait en décembre, approfondir le travail et monter un spectacle. Cinq jours de 9h à 17h30, sachant qu’ils n’arrivent jamais à l’heure. Le temps africain est élastique, et dans le camp beaucoup n’ont pas d’horloge ou de montre. En plus, la majorité des participant.e.s ont plusieurs enfants à gérer, affectant bien entendu l’heure d’arrivée le matin et au retour de la pause en après-midi. Enfin, et c’est un détail important : ce ne sont pas toujours les mêmes qui se présentent d’un jour à l’autre…!

Que de remises en question, surtout pour Geneviève et moi. Taigue travaille la danse avec eux depuis 10 ans, il connait son public, il a construit sa pédagogie en fonction de ce public. Il montre les pas, ils refont, il corrige, il divise le groupe en deux, il travaille séparément avec les deux groupes, ils présentent, puis il remet tout le monde ensemble. Le tout rythmé par les tam-tams sous la direction de Ngarta, qui forme en même temps les percussionnistes (les changements de mouvements sont annoncés aux percussions). Les pas et les chants traditionnels font partie de l’ADN des participants. En plus les danses sont entrainantes, les rythmes sont enivrants, il y a une marche à suivre claire… c’est magnifique !

Taigue en action 
En chant et en théâtre, nous voulions arriver à faire improviser les participant.e.s afin de les amener à s’exprimer de façon différente. C’est ce qu’on fait chez nous : on donne des outils puis on met les participant.e.s en situation semi-contrôlée afin qu’ils puissent explorer ces outils et les développer. L’improvisation est à la base de la formation artistique chez nous, et les enfants y sont initiés très jeune : on invente des chansons, on dessine ou on joue autour d’un thème, etc. L’art, chez nous, sert à s’exprimer. 

Pas ici… ici l’art, lorsqu’il n’est pas traditionnel, sert à sensibiliser. L’art sert à dire : voici ce qui est bien, voici ce qui n’est pas bien. Il n’y a pas de deuxième niveau.
Ici, on apprend par coeur, on récite, on reproduit. On est dans une culture où la pensée critique n’est pas encouragée — et le système politique en place a tout intérêt à ce que ça reste ainsi. Bon, ça c’est pour ceux qui vont à l’école. Au camp de Gondjé, beaucoup ne vont pas à l’école ou n’y sont jamais allés.  Alors : comment apprendre ? 

Le choeur
Ajoutons à cela la barrière de langue. Certains réfugiés, plus âgés, peuvent traduire du français au sango (patois centrafricain). C’est bien, mais comment traduire un contenu qui repose sur une approche pédagogique complètement étrangère ? 

D’autant plus que l’on ne travaille pas avec un système de références communes. Le système tonal et rythmique occidental n’a rien à voir avec ce qu’ils ont en Afrique centrale… et le théâtre physique ne ressemble à rien de ce qu’ils ont pu voir (pour ceux qui ont déjà vu du théâtre). 

Et je rappelle que les groupes ne sont pas toujours les mêmes d’un jour à l’autre…! En voulez-vous des défis ? En v’la ! En même temps c’est absolument fascinant. On se remet en question, on en apprend énormément sur l’Autre et sur soi, on ajuste, on réajuste, on « traduit », on invente… c’est de la création sous pression, dans le déséquilibre chaotique le plus complet, les deux pieds dans un univers parallèle en marge du reste du monde. 

Les nuits furent courtes.

Geneviève et moi avons constamment revu et modifié nos plans d’ateliers, réajustant le tir en cours d’ateliers. Si les gens n’aiment pas, ils quittent… le baromètre est très clair ! Heureusement nous avons toujours donné nos deux ateliers ensembles en participant à l’atelier de l’autre et en se conseillant en cours de route. Taigue a aussi donné son grain de sel, tout en sachant que les méthodes sont plus ou moins applicables d’un champ à l’autre. 

Finalement, il a fallu accepter, en ce qui concerne le chant et le théâtre, qu’on ne dépasserait pas « l’exercice », faute de temps. Le spectacle n’a donc pas été une création, mais plutôt un montage dynamique d’exercices dirigés par les formateurs. 

Florence


En répétitions à Goré
La création — « Zone Rouge 2.01 »
En parallèle, parce que ce n’était pas assez exigeant, les soirs et la fin de semaine nous avons poursuivi le travail de création et d’adaptation de « Zone Rouge », afin de le présenter le 18 janvier dans la foulée de leur restitution. Qui parlait d’une semaine intense ?

Là aussi, beaucoup de travail. Il fallait revoir l’ensemble de ce que nous avions créé pour le festival Souar-Souar et l’adapter pour ce nouvel espace et pour ce nouveau public. Une partie du travail avait été effectué pendant le temps de Fêtes et au début-janvier, mais il fallait maintenant tisser tout ça ensemble. 


Geneviève et Ngarta


On a revu l’écriture du spectacle, Geneviève et Ngarta ont entièrement recomposé la trame sonore (maintenant en direct et non amplifiée), on a revu l’occupation de l’espace et l’utilisation de la langue, on a refait deux scènes, on a créé de nouveaux costumes… bref on a fait un nouveau spectacle de 20 minutes.  

Ce fut intense, demandant, et magique tout à la fois. Les univers musicaux se sont entrechoqués vers la création d’un son unique et envoûtant. De même, la danse et le théâtre se sont entrelacés afin de rendre le propos plus simple, plus clair, plus viscéral. 

Nous savions que nous allions présenter quelque chose de complètement extra-terrestre aux habitants de Gondjé… mais pour nous l’important était de leur faire vivre quelque chose d’unique et de captivant, au-delà de la compréhension intellectuelle de la chose. 






Bedaine en cours....
Bedaine terminée ! Voici le chef Mbra !


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