dimanche 8 janvier 2017

3-7 janvier 2017 - La tourmente et l'éléphant

Ça traîne toujours
Bon… pour celles et ceux qui ont suivi, nous devions repartir le 3 janvier pour Goré afin de recommencer à donner nos formations dans le camp de Gondjé à partir du 4 janvier, jusqu'au 17.

En ce 7 janvier 2016, je suis en train d’écrire à partir de l'appartement de N’Djamena… et nous attendons toujours la signature des nouvelles autorisations, qui (tenez-vous bien!) doivent maintenant passer par le bureau de la Présidence de la République. Cette affaire a pris des proportions inimaginables. Nous avons rencontré hier les responsables du UNHCR à la maison-mère de N’Djamena — rien de moins. Pendant plus d’une heure, ils nous ont accueillis avec grande hospitalité et ils ont tenu à s’excuser personnellement pour ce qui nous arrive. Notre groupe d’artistes n’a, au fond, rien à voir dans toute cette affaire d’autorisations, de refus, de menaces et d’intimidation nous dit-on. Ça se passe au niveau des représentants du CNARR qui ont voulu montrer qu’ils avaient du pouvoir. Ils n’ont normalement jamais préséance sur le UNHCR dans ce genre d’affaires, mais comme le représentant du CNARR qui a décidé de nous mettre des bâtons dans les roues a de bonnes relations au niveau du Ministère de l’Intérieur (l’agence de renseignement) il en a profité pour faire le coq. Comme l’engrenage est en marche, il nous faut aller au bout des démarches et recevoir une signature du bureau de la Présidence. Oui, vous avez bien lu : un représentant du président de la République doit signer notre foutu papier ! 

Si je vous disais tous les allers-retours qu’a fait Taigue dans N’Djamena depuis lundi vous n’y croiriez pas. En plus on est en pleine crise de la fonction publique, en grève depuis plusieurs mois mais placée face à un décret du président forçant tout le monde à revenir au travail ce qui entraîne la grogne des syndicats. Certaines personnes se rendent au bureau, d’autres travaillent de la maison… Et les dossiers s’empilent. Lundi on a dit à Taigue qu’il aurait son papier mardi matin. Depuis il a passé des heures à attendre dans différents bureaux de la capitale, à appeler à droite et à gauche, à être envoyé d’un endroit à l’autre, à se faire demander d’autres photocopies de ceci et de cela, à se présenter à des rendez-vous où personne ne l’attend… Bref c’est la maison des fous ! (« MAIS JE NE VEUX PAS LE PORT !!! »)

Pendant ce temps, les groupes de danseurs, de chanteurs et de comédiens des camps de réfugiés de Gondjé et d'Amboko appellent Taigue trois fois par jour pour savoir où en sont les démarches. Ils continuent à se réunir tous les jours à l'Espace des Jeunes pour travailler, pratiquer et répéter. Ils sont là tous les jours -- c'est incroyable ! Je trouve ça merveilleux et ça me fend le coeur en même temps... Nous avons un groupe de plus de 75 personnes, entourées d'un public de près de 200 personnes, qui ressentent un réel besoin de cet espace d'art, de culture, de paix, de liberté. Ils sont là. Malheureusement, nous sommes cloués à 600 kilomètres par des administrateurs corrompus qui, eux, cherchent à se montrer la crête pour se sentir importants et pour, au bout du compte, se faire la piasse sur notre dos. C'est dégoûtant. 

Entre-temps, au lieu de piétiner nous avons continué à répéter et à approfondir notre création. L’IFT nous a gracieusement donné accès à la grande scène les 3-4-5 janvier. Sans Taigue, qui était toujours en train de sillonner les rues de N’Djamena, nous avons surtout répété à trois. Geneviève et Ngarta ont revu ensemble l’environnement sonore, et sont en train de composer de nouvelles musiques. C’est beau de les voir travailler ensemble, de les entendre se découvrir et échanger. Moi j’ai adapté le texte afin qu’il puisse être reçu par des gens qui ne comprennent pas le français. Le corps et l’image sont mis à profit. C’est super d’avoir ce temps pour aller plus loin, creuser, explorer et donner de la chair à ce que nous avions monté en décembre. La création prend une forme nouvelle en vue de la présentation à Gondjé. Les relations seront plus claires : celles entre nous sur la scène mais aussi et surtout celles entre nous et le public. Sans compter que l’espace de jeu sera complètement différent dans le camp de réfugiés. 

Vendredi le 6 janvier en fin-AM, Taigue s’est encore fait dire qu’il devait attendre lundi pour la %#?#& de signature. Nous avons ravalé notre colère collective et avons commencé à imaginer un plan B. Mardi (10 janvier) c’est un peu la date limite de départ afin de pouvoir faire un travail qui en vaut la peine à Gondjé. Si nous n’arrivons pas à partir mardi, on va rester ici et offrir des ateliers de formation aux comédiens de Vangdar chez Themacult ainsi qu’aux groupes d’alcooliques avec qui nous avions travaillé en décembre. Si nous arrivons à partir mardi, nous tenterons de repousser notre retour vers N’Djamena de deux jours (nous reviendrons le 19 au lieu du 17) afin de pouvoir passer un maximum de temps avec les gens de Gondjé. 


À l’ombre du Grand Éléphant
Monsieur chameau (ou madame chamelle)
En PM vendredi, nous avons décidé de décrocher et de relâcher un peu nos frustrations en sortant de la ville. Taigue nous a amené à 75 km au nord de la capitale, à Dandi, au Rocher de l’Éléphant. Nous avons roulé pendant près de deux heures dans un paysage de plus en plus désertique et de moins en moins peuplé : grandes plaines à perte de vue, arbres épars, quelques petits villages ici et là. Dans la voiture, ambiance de road-trip alors que la musique jouait à fond la caisse, les fenêtres ouvertes laissant passer l’air chaud et sec du début janvier. Au bord de la route, de plus en plus de troupeaux de boeufs, de troupeaux de chameaux (!!!), de groupes de chèvres (souvent en conférence de plusieurs dizaines de bêtes sous l’arbre à palabres…!), de moutons et de béliers soudanais — une étrange variété de mouton avec une très grosse queue poilue. Tout d’un coup, Taigue nous a pointé une majestueuse masse rocheuse se dressant au milieu de l’immensité. Quelle surprise. Comment est-elle arrivée là ?! Une demie heure plus tard nous étions au pied de cette montagne de roc. Il fallait se rendre de l’autre côté, sur une route de sable, pour trouver trois autres immenses monticules. 

Ensablés...




Conduire dans le sable, c’est un peu comme conduire dans la neige : des fois on reste pris. Eh ben… on est restés pris (merci Taigue !). Comme on n'est pas au Canada, il n’y avait pas de pelle ni de traction aids dans la voiture — malheur ! Heureusement deux jeunes d’environ 12-13 ans sont apparus de nulle part et nous ont sortis du pétrin en nous aidant à retirer le sable sous la voiture et à couper, avec des lames de rasoir qu’ils avaient sur eux, de grandes feuilles qu’on a placées sous les roues. Sans ces deux amis, on restait là un bon moment…!




On arrive...






Désensablés, nous avons pu nous rendre au fameux rocher. C’était simplement magnifique. Il était là, l’éléphanteau majestueux semblant avoir été taillé à même le roc par d’immenses mains venues de nulle part. Nous avons passé un long moment dans le silence venteux, juchés en haut de notre montagne, à regarder l’immensité s’étendre devant nous, oubliant les soucis administratifs de la grande ville alors qu’un grand troupeau de chameaux chargés de sacs de mil passait lentement au pied de la montagne. Moments magiques, comme coupés du monde par le grand éléphant de pierre… 







Le voici...


Il a même accepté de poser avec nous !













Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire