samedi 31 décembre 2016

28-30 décembre - Retour au boulot… et surprise : les plans changent !! Eh oui.

28-29-30 décembre 2016

Nous étions censés être en répétition les 28-29-30 décembre à l’IFT. Au menu : revoir ensemble le vidéo de ce que nous appelons maintenant « Zone rouge » (le work-in-progress que nous avons présenté au festival Souar-Souar) afin d’y apporter les modifications nécessaires suite à cette première représentation publique et en vue de la reprise. En effet, entre le 15 et le 17 janvier nous prévoyons présenter un spectacle à Goré et dans le camp de Gondjé, où les réfugiés montreront aussi le résultat de leur travail de formation avec nous. En vue de cette reprise, nous avons pas mal de détails à préciser au niveau de l’espace et des chorégraphies, et nous devons revoir l’environnement sonore maintenant que Frédéric a été remplacé par Ngarta. Pas mal de pain sur la planche, donc!

C’était le plan — mais comme les choses changent…! Tout bouge, comme dirait l’autre. 

D’abord, le 28 au matin Taigue et Sarah se sont rendu compte, au réveil, que la moto de Sarah leur avait été volée pendant la nuit. Les voleurs ont coupé les barbelés, sont entrés dans la concession et ont pris la moto. Les « Taigue » (les groupes de gens sont nommés d'après leur « leader »... je suis le chef des « Mathieu »!) ont passé une bonne partie de la journée à gérer la situation avec les autorités. De notre côté, Geneviève a eu une rechute suite à son indigestion de la veille de Noël et elle a été clouée au lit toute la journée. 

Le 29 en AM toute l’équipe s’est réunie pour visionner le vidéo à plusieurs reprises, donner les commentaires et prévoir le travail de répétition. En après-midi se tenaient les funérailles de Modilé. On a tenu à respecter le choc du deuil vécu par nos amis ici — tout le monde est touché de très près par la mort du jeune Modilé. Un grand concert réunissant des dizaines d’artistes et plusieurs centaines de spectateurs a été organisé pour le vendredi 30, suivi d’une veillée. (Malheureusement, les génératrices ont lâché vers minuit, mettant abruptement fin à l'hommage. Décidément.) Avec tout ce qui se trame, nous avons remis les répétitions au début janvier, quitte à répéter les week-ends alors que nous serons à Goré.

En parallèle, ça me permet à la fois de prendre un peu de temps pour récupérer de cette grippe qui a continué de s’acharner ces derniers jours, tout en étant là pour Geneviève qui est encore malade. Aussi, ça me donne l’occasion de prévoir la suite de mes ateliers. En effet, comme le temps qui nous reste à Gondjé est limité et que les participants ne sont pas habitués à la recherche et à l’écriture, je m’attèle à imaginer quelques canevas de scènes que nous pourrons travailler ensembles en vue du spectacle qu’ils présenteront. J’espère arriver à ce que nos trois ateliers (danse-chant-théâtre) puissent s’entrelacer et se compléter dans le cadre d’une seule mise en scène. C’est un beau défi, j’en rêve la nuit et c’est bien d’avoir le temps d’y réfléchir et d’asseoir un plan d’attaque. Ma principale préoccupation se situe au niveau du propos. Rappelons-nous qu’ici, l’art est à 99% un outil de sensibilisation. L’abstraction, la métaphore, le deuxième degré et la double-image ne sont pas monnaie courante, et ne sont souvent pas compris — en fait les gens n’y voient pas d’intérêt. Comment briser les conventions lorsqu’on s’adresse à des gens qui n’ont souvent aucune référence théâtrale ? Quelles sont les conventions ?…  Je cherche donc une façon d’ouvrir les horizons artistiques des participant.e.s tout en m’assurant de rester proche de leur réalité. Il faut tout de même que ça résonne, pour eux et en eux. 


Sinon, on s’habitue doucement au départ d’Étienne. C’est bizarre, quand même.  Il était toujours là, il faisait partie de la routine, et c’est un peu étrange de ne plus avoir les mêmes discussions de Canadiens au sujet des absurdités quotidiennes (!). D’autant plus que l’équipe, ces derniers jours, a été plutôt morcelée étant donné tous les évènements. 

Sans voiture (elle est au garage), Geneviève et moi avons commencé à avoir une petite routine n’djamenoise. Nous avons rencontré un chauffeur de taxi super sympathique, nommé Adoum. C’est maintenant notre chauffeur de choix. Il est toujours disponible, il nous a laissé son numéro, on se sent en sécurité et il ne nous demande pas un prix effarant comme le font la plupart des taximan. En fait, il a maintenant arrêté de négocier un prix avec nous. Plutôt, il nous dit de lui donner ce qu’on veut, ce qu’on peut. Selon les copains ici, c’est la meilleure chose à N’Djamena. Pour nous c’est bien : on se sent plus libres. En plus, Adoum (qui ne parle pas beaucoup français) nous donne de super cours d’arabe pendant les courses. C’est plutôt génial et assez rigolo — on apprend des mots complètement aléatoires ! Souris, cheval, froid, pardon, marché de mil, téléphone cassé, etc. (que nous avons tous oubliés... jusqu'à la prochaine course!)



26-27 décembre - Des réponses ?… meh… des bonnes nouvelles ?… re-meh…


Que de poussières qui ne semblent pas vouloir retomber…

En début de semaine Taigue et Cyril rencontraient le responsable du Ministère afin d’avoir des explications sur ce qui s’est passé. Après deux jours de rencontres reportées, d’attente de nouveaux papiers à signer, on nous a dit qu’il y a bon espoir… et qu’on devrait avoir une réponse le 3 janvier ! Le 3 janvier !! 

Il apparaît clair que nous subissons directement les contrecoups de la crise sociale qui fait rage au Tchad.

Depuis que nous sommes ici on nous parle de « vache maigre » (expression signifiant qu’on est en période d’austérité), on nous souligne que les enseignants, les professeurs, les médecins et les fonctionnaires sont en grève depuis trois mois. Qui plus est, depuis l’été le fonds de bourses aux étudiants a été complètement suspendu et les fonctionnaires de l’état ne reçoivent que 50% de leurs indemnités. Personne ne va à l’école ou à l’université depuis le début de l’automne. Les hôpitaux offrent des services minimaux. Lorsque Taigue et Cyril on rencontré les fonctionnaires, c’était à leur domicile, d’où ils travaillent en temps de grève. Le 27 décembre le président annonçait que les grévistes ne seraient plus rémunérés : nous assistons donc à un bras de fer entre les syndicats et le gouvernement. Tout marche au ralentit. Dans ce contexte, nous souhaitons une réponse le 3 janvier — mais l’aurons-nous ? 

Il y a quelques semaines, Deby annonçait qu’il n’y aurait plus de réfugiés au Tchad en 2017. Il cherche ainsi à gagner des points politiques en cette période houleuse. En effet, une partie de la population s’indigne de voir que les réfugiés ont certains « privilèges » (rations, logements, terres, etc.) que la population, en pleine crise économique, n’a pas. Bref, c’est donc le CNARR qui va progressivement prendre l’ensemble de la responsabilité des camps — qui deviendront des villages tchadiens. Voilà pourquoi il y a eu cette guerre de mini-pouvoirs lorsque les représentants du CNARR se sont rendu compte que les autorisations étaient passées par le HCR et non par eux. Ils se sont sentis dépassés et ils répondent par l’intimidation. Lorsqu’on sent le besoin d’intimider des artistes qui viennent offrir des espaces créatifs de paix, on est rendu très bas…

Par-dessus le marché, pendant la nuit du 25 décembre un jeune homme, l’animateur et journaliste culturel Modilé Lebad, est mort alors que le fils d’un député, en boisson, l’a gratuitement et injustement poignardé — en pleines célébrations. Le milieu artistique au complet est en deuil devant le départ subit de cette personnalité publique très engagée, se battant pour la promotion des arts et de la culture depuis plusieurs années. Le fait que ce soit arrivé des mains du fils d’un député (il sera envoyé en prison mais il ne subira probablement qu’une justice partielle puisqu’il est protégé par son statut) n’a rien pour calmer la grogne populaire. 

La fin 2016 est mouvementée à N’Djamena…

Malgré tout, on a fait une grande réunion-bilan (artistique, logistique, finances) des dernières cinq semaines, on a évalué les différentes options pour le reste du séjour, on a enregistré deux entrevues de fond pour notre film-documentaire et l’équipe de cinéastes a pris des images de N’Djamena (B-Roll). Nous devions en effet boucler plusieurs détails avant le départ d’Étienne. Eh oui : le séjour d’Étienne prenait fin le 27 décembre. Le reste du travail de captation sera effectué jusqu’au 22 janvier par Cyril et Renaud. Tout était prévu à cet effet, mais c’est tout de même très étrange de voir un membre de l’équipe quitter le groupe après tant de péripéties vécues ensemble.


Nous avons terminé la soirée du 27 décembre au restaurant le Carnivore, tout près de l’aéroport, avec plusieurs amis. Étienne a quitté (à reculons…) N’Djamena à 23h55. 

NAWOUELLE !

24 et 25 décembre 2016 !


Sous les tempêtes de sable qui s’abattent sur la ville depuis le 22 décembre, N’Djamena nous offre un ciel grisonnant, avec des percées orangées ou ocres. Peu de soleil pour réchauffer les coeurs en cette période de Fêtes. Un brouillard épais semble tout englober. Les paysages nocturnes sont surréels — les voitures et les gens semblent émerger de nulle part, spectres bien vivants dans la nuit tchadienne. 

Par contre la chaleur humaine compense mille fois l’hostilité du climat. Nous sommes entourés de personnes merveilleuses. Le 24 décembre en soirée, nous sommes d’abord allés assister à une messe de Noël tchadienne. Dans l’église extérieure, recouverte d’un toit de taule, plusieurs centaines de personnes étaient réunies. Les enfants présentaient des chorégraphies excessivement mignonnes — les mouvements de danse traditionnelle faisaient bouger les ailes de carton accrochées dans leurs dos ! C’est au son de « Gloo-ooooo-ooooo-ooooo-ria…in excelcis de-o… » que nous avons fait notre entrée dans l’église. Se sont ensuite enchaînés sermons en français et en patois, où l’on nous parlais à la fois de la joie de l’arrivée du Sauveur et du grand fléau qu’est l’avortement… j’avoue que ça n’a pas très bien passé, ça. Je regardais tout cela en passant de la curiosité à l’étonnement à la fascination à l’incompréhension. Le choeur, accompagné d’un clavier, d’une guitare électrique, de percussions et d’un balafon (!), scandait le tout. Il fallait voir Geneviève, médusée par le mélange des rythmes traditionnels et des chansons de Noël, alors que le chef de choeur battait la mesure en 4/4 sur un rythme qui ressemblait à du 16/23*6-2…! Pourtant ça marche — mais nos oreilles occidentales ne perçoivent tout simplement pas le rythme de la même façon. 

En fin de soirée nous sommes allés manger entre amis au bar « Le Zénith », où on avait cuisiné un mouton entier pour l’occasion. En journée, nous en avions profité pour acheter quelques denrées rares — dont du vin et un bon scotch ! Une très belle soirée, dans un décors où le faux marbre et les déesses grecques veillaient sur nous. Nous avons chanté à tue tête des hymnes de Noël, tentant tant bien que mal d’enterrer le boum-boum qui jouait dans le bar. Dehors, la tempête de sable rappelait une tempête de neige — vision étrangement rassurante…!

Ah ! J’oubliais : notre cadeau à nous de nous en ce 24 décembre !! À 11h le matin nous sommes allés voir Star Wars au Normandie. Hihi ! Nous devions être dix (tous des nasara) dans la salle, mais nos trois coeurs de geeks tout gonflés remplissaient certainement le lieu et bien au-delà ! Comble de luxure : nous avons apporté une barre de chocolat achetée la veille. Moment de bonheur hors du temps, loin des ânes, des gendarmes et des autorités corrompues, alors que nous avions les yeux rivés sur l’écran sombre (oui, il y a un projecteur brulé au Normandie… les films sont tous un peu sous-éclairés — mais ça va !!), la tête dans les étoiles en grignotant notre chocolat au riz soufflé. C’est nouel c’est nouel c’est nouel !

Le lendemain, nous avons passé la majeure partie de la journée à jouer aux cartes, confinés à l’intérieur par le brouillard de poussière qui pesait dehors. Faut dire que toute cette poussière n’a fait qu’empirer ma grippe (ah, la frustration du temps des Fêtes) et que Geneviève et moi avons combattus une indigestion monstre liée au repas de la veille (eh oui…). Étienne a été épargné. Nous avons donc pu conclure que le coupable n’était ni le mouton, ni le scotch, mais bien la carpe braisée — Taigue et Sarah en ont mangé aussi et ont vécu le même tord-boyaux. Nous avons donc enchaîné les parties de 8 et de bataille corse habillés en mou en écoutant de la musique et en se tenant le moins loin possible des WC — un vrai 25 décembre, quoi. Grippe, indigestion et jeux de carte : seems about right !

Nous qui pensions profiter de la journée pour visiter la famille de Taigue et vivre un 25 décembre tchadien… On remet ça au 1er de l’an !


Pour celles et ceux qui se demandent : voici notre nid de N'Djamena.